Une version abrégée de cet entretien est parue dans l’édition du vendredi 28 janvier du Courrier de la Nouvelle-Écosse, sous la rubrique «Au rythme de notre monde».
Dans quelle mesure est-ce les préoccupations de la collectivité francophone forment une priorité pour le gouvernement actuel de notre province ? Par suite de la parution de la chronique du 17 décembre dernier, au sujet de la délégation acadienne en France au mois précédent, j’ai eu la chance de m’entretenir à ce sujet avec l’honorable Colton LeBlanc (PC), député de la circonscription d’Argyle à l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse.
Originaire de Quinan (Par-en-Bas) et diplômé de l’Université Sainte-Anne, M. LeBlanc a été élu d’abord en 2019 puis réélu en août 2021. Avec Ronnie LeBlanc (PL-Clare) et Trevor Boudreau (PC-Richmond), il fait partie de la députation provenant des circonscriptions acadiennes rétablies. Il occupe actuellement plusieurs postes au sein du gouvernement de Tim Houston, dont ceux de ministre de la Commission du service public, ministre de Service Nouvelle-Écosse et des Services internes, et – ce qui est d’un intérêt particulier pour le lectorat du Courrier – ministre des Affaires acadiennes et de la Francophonie.
Le mercredi 12 janvier, M. Colton, qui a participé au voyage à Paris organisé sous l’égide de la Société nationale de l’Acadie, m’a parlé de cette expérience marquante ainsi que de quelques projets à l’horizon pour la francophonie néo-écossaise.
Tout d’abord, je tiens à vous féliciter pour votre élection ainsi que votre nomination à des postes importants au sein du cabinet. Ces marques de confiance en disent long sur l’estime dont vous jouissez aux yeux de la population et, bien entendu, auprès du premier ministre. Comment arrivez-vous à équilibrer les divers dossiers dont vous avez la responsabilité ?
En premier lieu, être député d’une circonscription acadienne est d’une grande importance pour moi. Je suis ravi d’avoir pu voir le rétablissement des circonscriptions acadiennes en Nouvelle-Écosse. Alors, mon travail comme député de jour en jour, c’est là ma grande priorité.
Certes, il y a les tâches supplémentaires en tant que ministre et, comme vous avez mentionné, j’ai la charge de quelques différents dossiers. Durant les premiers mois de notre mandat comme gouvernement, j’ai eu bien d’occasions de rencontrer les membres de mes équipes à travers mes ministères et à travers le gouvernement. Ça fait pas mal de jonglage de jour en jour et il faut donc bien planifier ma semaine. Il y a des sessions de breffage, des réunions à des temps fixes au sujet des différents dossiers et priorités. En plus, avec la technologie qui existe aujourd’hui, on peut toujours maintenir les communications avec la circonscription.
On comprend bien sûr les responsabilités qui sont sur nos épaules comme gouvernement, mais on voit aussi les possibilités pour notre province puis pour le peuple néo-écossais. On a des buts très ambitieux pour la Nouvelle-Écosse tout en fonçant sur les défis dans le système de santé, dans l’économie et sur le plan du logement, par exemple. Mais le premier ministre a été très clair qu’il veut doubler la population Néo-Écossaise d’ici 2060. Alors il faut qu’on se penche certainement sur l’immigration et je vois l’immigration francophone comme étant un élément clé et nécessaire pour faire avancer la population, y compris la population acadienne et francophone de la Nouvelle-Écosse.
Alors c’est beaucoup de jonglage, mais c’est une grande responsabilité qui me tient à cœur – surtout pour les dossiers des Affaires acadiennes et de la Francophonie. […]
Parmi ceux dont on a discuté avec la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse, il y a la modernisation de la Loi sur les services en français. C’est un projet de loi qui a été présenté par Chris d’Entremont, qui était député avant moi, en 2004, à l’époque du Congrès mondial acadien. La modernisation de cette loi est importante car il y a plusieurs aspects qui peuvent être améliorés, surtout avec le CMA qui s’en vient en 2024 dans les régions de Clare et d’Argyle.
Avez-vous eu la chance de participer au CMA 2004 [en Nouvelle-Écosse]?
Oui. J’avais eu 12 ans à ce temps-là et à j’ai fait du bénévolat. En fait, je fouillais à travers des photos chez nous il y a quelques semaines et je suis tombé sur des photos que j’avais prises en faisant du bénévolat à l’école Belleville où j’avais pu rencontrer des gens venus d’ailleurs. Je me souviens des différents évènements : il y avait une activité de faire de la râpure et j’avais participé à aider.
C’est excitant de pouvoir accueillir les Acadiens et Acadiennes, et bien sûr les francophiles aussi, d’autour du monde. Il y aura des retombées économiques et des retombées culturelles à la suite du CMA qui, on espère, continueront pour plusieurs années. Et tout cela réinciter une fierté d’Acadie, pour les gens non seulement de notre coin, de notre province, mais au niveau international.
Le voyage de la délégation acadienne en France représentait quand même une occasion extraordinaire d’accroitre la visibilité des enjeux de la francophonie néo-écossaise. Qu’est-ce que vous en retenez ? Qu’est-ce que cela promet pour l’avenir de notre collectivité ?
C’était très spécial de pouvoir accompagner Antonine Maillet au palais de l’Élysée pour la voir investie du titre de commandeur de la Légion d’honneur. C’était tout à fait remarquable. Elle est une ambassadrice très importante pour l’Acadie, qui continue à faire des démarches considérables alors que ses œuvres continuent de résonner avec plusieurs. Et on a vu le fruit de ses efforts lorsque le consulat général de France était à la veille de fermer. Elle a communiqué avec le président Macron : non seulement que ça va rester ouvert, mais les services seront améliorés.
Quant à notre gouvernement, on a bien compris l’importance d’avoir des gens sur le terrain en France pour faire des connaissances là-bas. Pour moi c’était essentiel de rencontrer les différents ministres et les différentes personnes du service gouvernemental afin d’explorer les possibilités de coopération, en communiquant nos désirs et les possibilités que nous pouvons envisager. Je pense à l’immigration francophone, au développement durable et environnemental ainsi qu’à l’éducation post-secondaire : la double diplomation, par exemple. À partir de ces réunions-là, on va passer des messages à notre gouvernement dans l’espoir de travailler de concert avec le bureau des Affaires intergouvernementales pour proposer des ententes.
Ce n’est pas tous les jours qu’il y a une délégation acadienne en France et c’est indéniable qu’on avait une bonne représentation de la Nouvelle-Écosse, d’autant plus qu’on a pu rencontrer le président Macron. Il a été invité au CMA par la Société nationale de l’Acadie, une invitation que je lui ai réitérée personnellement. Je lui ai dit que c’était dans mon coin et que certainement il sera bienvenu. Alors on verra d’après les résultats des élections en France cette année.

Ce que je voudrais souligner aussi, c’est le rôle du consul général qui tient aux avancements des discussions entre la Nouvelle-Écosse et la France. Monsieur Johan Schitterer joue un rôle très important là-dedans. C’est un allié pour les Acadiens et, je dirais, au niveau régional. Le but des discussions que l’on a pu avoir avec la SNA et avec des représentants du gouvernement du Nouveau-Brunswick, c’est justement de faire avancer au niveau régional certaines causes et certains projets.
C’était une très bonne expérience et on espère encore pouvoir accueillir une représentation française au Congrès mondial acadien 2024. Il y a des sénateurs qui m’ont exprimé leur grand désir de faire partie du CMA.
Aviez-vous déjà visité l’Europe avant ce voyage ? Avez-vous participé à des échanges avec Belle-Île-en Mer, qui est jumelée avec Argyle ?
Oui, une fois comme étudiant au secondaire puis par la suite en vacances quelques années après. La première fois, c’était une tournée à travers de l’école secondaire, mais ce n’était pas dans le cadre des échanges de ce côté-là. Mais puisque vous avez mentionné Belle-Île, certainement ici dans notre coin en Argyle, c’est d’une très grande importance, ces relations qui existent, je pense, depuis une cinquantaine d’années suite au travail de Maurice LeBlanc. J’ai eu l’occasion de rencontrer Maryvonne LeGac qui est de cette région-là. En 2023, il va y avoir 20 ans que la première entente entre Pubnico et Belle-Île a été signée. Il me semble qu’on va poursuivre des discussions en vue de renouveler cette entente.
C’était une différente mission cette fois-ci et il y a un grand intérêt et une grande connaissance de l’Acadie parmi les personnes qu’on a rencontrées. Ils voient les possibilités comme nous et les avantages des jumelages entre la Nouvelle-Écosse et la France qui peuvent amener du bénéfice pour les deux.
Ce point-là soulève justement la position de la Nouvelle-Écosse vis-à-vis de la Francophonie internationale. Le précédent gouvernement libéral avait exprimé son intention de demander l’adhésion de notre province à l’Organisation internationale de la Francophonie. Est-ce qu’une candidature à l’OIF fait partie des priorités de votre gouvernement ? Est-ce que d’autres projets impliquant le monde francophone sont pressentis ?
Oui et non. La Nouvelle-Écosse se prépare pour soumettre sa demande à l’OIF pour devenir membre observateur, mais il y a un moratoire actuel sur les demandes d’adhésion. De ce que je comprends, à la fin de cette année, il va y avoir un sommet de l’OIF en Tunisie. Ensuite on va revoir les critères d’adhésion pour décider si le moratoire va continuer. Nous, on s’est quand même réunis avec Geoffroi Montpetit qui est l’administrateur de l’OIF à Paris. Au plus tôt, ce sera en 2024 qu’on pourra soumettre la demande, mais, comme province, on voit certainement les avantages de participer à l’OIF : le développement économique, le développement durable et environnemental, l’immigration, l’éducation… Il y a des avantages de travailler avec un organisme d’une certaine envergure, en concertation avec d’autres provinces qui sont membres – et bien sûr avec le Canada aussi.
Autre que ça – et je pense que ceci va vous intéresser – nous envisageons également un MOU [Memorandum of Understanding, ou protocole d’accord] entre la Nouvelle-Écosse et la Louisiane. En 2005, il y avait du travail qui avait été amorcé en ce sens, mais malheureusement l’ouragan Katrina avait mis un grand délai là-dessus. Pourtant, il y a une ébauche qui est prête alors que le dialogue continue avec les Affaires intergouvernementales de notre gouvernement. L’intérêt est grand de la part de plusieurs ministères. Nous allons continuer de travailler avec les Affaires gouvernementales et, bien sûr, déterminer s’il y a de l’intérêt en Louisiane pour foncer là-dessus, en espérant développer une entente à signer. Dans l’immédiat, beaucoup dépend de l’évolution de la situation pandémique.
Merci beaucoup pour cette conversation enrichissante – et bonne année en 2022 !
Merci et bonne année à vous aussi.
(Note : cet entretien a été transcrit par Audrey Paquette-Verdon, coordinatrice de l’Observatoire Nord/Sud. La version intégrale se trouve sur le blogue de la CRÉAcT, Les Carnets Nord/Sud.)
Crédit photo : Présidence de la République française; images fournies par Mark Bannerman.