Mois du patrimoine africain : Dominique Gaspard, un Créole louisianais devenu médecin au Québec et pilier de la communauté noire (Au rythme de notre monde dans Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, 9 et 23 février 2024)

À noter que cette chronique a également paru, en deux parties, dans les éditions du 9 et du 23 février du Courrier de la Nouvelle-Écosse, sous la rubrique « Au rythme de notre monde ».

1ÈRE PARTIE – Quelle destinée singulière et digne d’intérêt que celle de Dominique Gaspard ! Né en 1884, ce Créole issu du milieu des gens de couleur de La Nouvelle-Orléans allait quitter sa Louisiane natale, vers l’âge de 20 ans, pour fuir l’oppression raciale et pour étudier au Québec.

Formé en médecine, il prend part à la Grande Guerre. Catholique et francophone, il devient l’un des piliers de la communauté noire de Montréal, pourtant à dominante anglophone et protestante. Jouissant de la haute estime de ses concitoyens blancs, il ne cessera d’agir en faveur de l’équité raciale jusqu’à sa mort en 1938.

Dominique Gaspard vers 1911, après son déménagement au Québec. (PHOTO : CENTRE D’HISTOIRE DE SAINT-HYACINTHE)

La présente chronique ainsi que la prochaine serviront à mettre en relief ce parcours fascinant, qui relie deux aires de l’Amérique francophone.

Le choix de ce sujet s’inscrit, bien entendu, dans le Mois de l’histoire des Noirs – ou Mois du patrimoine africain ici en Nouvelle-Écosse. Initialement proposé par l’historien afro-américain Carter G. Woodson (1875-1950) et célébré en février, c’est l’occasion de mieux apprécier l’histoire afro-canadienne dans toute sa richesse et dans toute sa complexité, tout en explorant les contributions des figures marquantes de cette population ainsi que ses aspects encore méconnus. 

Du coup, il s’agira de rendre hommage aux travaux de Dorothy W. Williams, grande spécialiste de l’histoire noire au Canada. Plus que nul autre, c’est elle qui aura aidé à faire redécouvrir la vie du docteur Dominique Gaspard. 

Auteure de deux livres sur la communauté afro-montréalaise, Williams a également signé une esquisse biographique de Gaspard dont l’essentiel est condensé dans un article de l’Encyclopédie canadienne. Mes chroniques s’appuient sur ses recherches tout en s’enrichissant d’autres documents, d’une part, et de mes connaissances sur la Louisiane francophone, d’autre part.

Dominique Francis Gaspard voit le jour le 22 janvier 1884. Il ne vient pas au monde tout seul, d’ailleurs, car ses parents, Esther et John (ou Jean ?) ont le bonheur d’accueillir des fils jumeaux. Si peu de recherches ont été menées sur l’enfance du futur émigrant, nous savons que la famille Gaspard fait partie de la communauté créole formée par les gens de couleur francophones de Louisiane. 

Beaucoup d’entre elles et eux étaient déjà libres du temps de l’esclavage et, malgré les discriminations raciales à leur égard, faisaient preuve d’un grand dynamisme dans plusieurs domaines comme l’éducation, les métiers, les œuvres de bienfaisance, les arts et la culture. Les Gaspard vont fréquenter l’Église Saint-Joseph, l’une des paroisses desservant les Noirs francophones.

Le contexte politique de l’époque revêt une importance fondamentale pour comprendre la trajectoire de Dominique Gaspard. La fin de la Guerre civile américaine, qui avait amené l’abolition définitive de l’esclavage en 1865, avait également inauguré un programme de réformes en profondeur dans le but d’éradiquer les injustices liées au racisme. Il s’agit de la « Reconstruction » du Sud dont les promesses et les progrès finissent par succomber, vers le milieu des années 1870, à la réaction raciste. 

Le sociologue et militant afro-américain W. E. B. Du Bois en dressera ce bilan lapidaire : « L’esclave a obtenu sa liberté, s’est tenu un bref moment au soleil, puis s’est avancé de nouveau vers l’esclavage ». Ce nouvel esclavage, c’est le régime de la ségrégation raciale, fondé sur l’oppression et, bien trop souvent, la violence.

Les années de jeunesse de Dominique Gaspard sont donc marquées par le recul des droits civiques et de l’égalité sociale des Noirs américains. En Louisiane, cependant, les Créoles francophones mènent la lutte contre cette tendance néfaste. Il y a eu notamment le Comité des citoyens qui a entrepris une campagne pour combattre les lois racistes – efforts héroïques qui allaient se solder en 1896 par un échec devant la Cour suprême des États-Unis. 

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Mercredi 11 octobre 2023 : Lancement du livre La dimension oubliée des années 1968 – Mobilisations de minorités nationales au Canada et aux États-Unis

À vos agendas ! Tout le monde est invité à assister au lancement de l’ouvrage collectif La dimension oubliée des années 1968 – Mobilisations de minorités nationales au Canada et aux États-Unis, le mercredi 11 octobre 2023, à 17h00 (Atlantique). Cette activité aura lieu à l’Observatoire Nord/Sud de l’Université Sainte-Anne, au 2e étage de la Bibliothèque Louis-R.-Comeau, ainsi que sur Zoom : LIEN ICI.

Paru aux Presses de l’Université Laval dans le cadre de sa collection «Culture française d’Amérique», parainée par la CEFAN, ce recueil d’études est dirigé par les chercheur-e-s Michael Poplyansky (Cité universitaire francophone de l’Université de Regina), Clint Bruce (Université Sainte-Anne), Joel Belliveau (Centre de recherche sur les francophonies canadiennes, Université d’Ottawa), Anne-André Denault (CEGEP de Trois-Rivières) et Stéphanie St-Pierre (Université Sainte-Anne). De quoi s’agit-il dans ce livre ?

En voici un aperçu : De la fin des années 1960 au début des années 1980, les «années 68» sont marquées par le militantisme intense et le changement culturel rapide. Un aspect demeure mal compris : les revendications collectives des minorités nationales. Pour celles-ci, on observe la naissance de mouvements politiques qui luttent pour l’épanouissement de leurs communautés.

Ce recueil se concentre sur les répercussions des «années 68» sur les peuples francophones du Canada et des Etats-Unis. Il s’intéresse aussi aux minorités nationales évoquées plus rarement par la littérature scientifique francophone, notamment les Chicanos du sud-ouest des Etats-Unis et les peuples autochtones de la Colombie-Britannique. Ainsi, en proposant des regards croisés sur différents mouvements nationalitaires, ce recueil offre une perspective originale sur une période marquante de l’histoire du monde contemporain.

Voir ci-dessous la table des matières.

La présentation de ce livre marquant sera enrichie d’un témoignage local de l’époque de la part de Glenda Doucet-Boudreau. Originaire de la Baie Sainte-Marie, Glenda Doucet-Boudreau est une Acadienne remarquable qui a consacré sa vie au développement et au bien-être des communautés acadiennes et francophones. Infirmière de formation, elle consacre une grande partie de son temps libre à soutenir des initiatives contribuant à la vitalité des communautés acadiennes, notamment dans les secteurs de l’éducation, des droits des femmes et de la promotion du patrimoine acadien.

Glenda a joué un rôle majeur dans le secteur de l’éducation en s’impliquant dans des procédures judiciaires pour faire respecter l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. En 2003, l’arrêt Doucet-Boudreau de la Cour suprême du Canada a réaffirmé la responsabilité des provinces et des territoires de respecter leurs obligations en matière d’enseignement dans la langue de la minorité. Enfin, Glenda travaille à la promotion du patrimoine acadien et de la condition féminine. Elle est membre fondatrice de l’Association Madeleine-LeBlanc à Clare en 1975, et de la Fédération des femmes acadiennes de la Nouvelle-Écosse en 1983. Elle a siégé pendant de nombreuses années aux conseils d’administration de ces deux organismes et a représenté la Nouvelle-Écosse au conseil d’administration de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne, au niveau national, pendant cinq ans.

TABLES DES MATIÈRES :
La dimension oubliée des années 1968 – Mobilisations de minorités nationales au Canada et aux États-Unis

Introduction – Michael Poplyansky, Clint Bruce, Joel Belliveau, Anne-Andrée Denault et Stéphanie St-Pierre

LES MINORITÉS NATIONALES NORD-AMÉRICAINES : ANGLE MORT DES ANNÉES 1968 ?

Une cécité peut en cacher une autre : le Canada francophone et « Mai 68 » dans la mémoire européenne – Ingo Kolboom

Octavio Romano et la critique chicano de l’Amérique – Ignacio M. García

La jeunesse fransaskoise dans les années 1968 : un portrait exploratoire – Michael Poplyansky

LE DÉPASSEMENT DES FRONTIÈRES ÉTATIQUES

L’éloignement et le rapprochement des Canadiens français : une réponse de Gabrielle Roy au nationalisme des années 1960 – Jérôme Melançon

Redéfinir le territoire historique en milieu minoritaire : étude de cas de la fondation de l’Institut franco-ontarien et du Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest – Stéphanie St-Pierre

De la survivance à l’affirmation culturelle : l’alliance entre le Québec et les collectivités francophones des États-Unis, le cas des Franco-Américains – Anne-Andrée Denault

Le maire Jones, Acadien honoraire ? ! ? : répercussions politiques du projet de jumelage municipal entre Moncton (N.-B.) et Lafayette (Louisiane) – Clint Bruce

À LA RENCONTRE DE L’AUTRE

Aujourd’hui, j’suis réveillée pis j’reprends le temps perdu : l’expérience de l’histoire dans Québécoises deboutte ! (1971-1974) – Daniel Poitras

Nos luttes communes : droits de femmes autochtones et édification de
coalitions transraciales pendant l’Année internationale de la femme (1975) – Sarah Nickel

Au carrefour des nations : la Commission royale d’enquête sur
le bilinguisme et le biculturalisme à l’écoute des Autochtones. . 245
Lucie Terreaux

TÉMOIGNAGES D’ACTEURS DE L’ÉPOQUE

Nicole Boudreau, ancienne présidente de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

Laurier Gareau, dramaturge et historien fransaskois

Jean-Marie Nadeau, ancien président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick

David Cheramie, Ph. D., ancien directeur du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL)

Notices biographiques

Chroniques de la Côte : La guerre de Crimée vue de la Louisiane rurale («Au rythme de notre monde» dans Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, 7 février 2023)

À noter que cette chronique a également paru dans l’édition du 7 février 2023 du Courrier de la Nouvelle-Écosse, sous la rubrique « Au rythme de notre monde ».

Il y a bientôt un an, la Russie envahissait l’Ukraine. Au Canada comme ailleurs, un élan de solidarité s’est manifesté envers la cause ukrainienne, une vague d’indignation et de sympathie stimulée par la couverture médiatique ainsi que par les médias sociaux. À quelques égards, les enjeux de ce conflit rappellent ceux d’un autre affrontement entre la Russie et les puissances occidentales : j’ai nommé la guerre de Crimée (1853-56).

L’une des guerres majeures du 19e siècle, l’affaire oppose l’Empire russe à une coalition formée par la France, le Royaume-Uni et la Sardaigne, alliée à Empire ottoman. Ce dernier, un État musulman et multiethnique chevauchant trois continents (l’Europe, l’Afrique et l’Asie du Moyen-Orient), s’estime menacé par les ambitions expansionnistes de la Russie. 

Alors que, de nos jours, Vladimir Poutine prétend vouloir libérer les populations russes de l’Ukraine, il s’agit à ce moment-là de l’ingérence du tsar Nicolas Ier au nom des communautés chrétiennes des territoires ottomans. La coalition vient à la rescousse de la Sublime Porte – surnom du gouvernement ottoman – afin de maintenir l’équilibre des rapports de force. 

Au terme des hostilités qui durent d’octobre 1853 jusqu’en mars 1856, la victoire de la coalition va assurer la neutralité de la mer Noire dans le but de restreindre l’influence russe dans la région – notamment, en interdisant la construction de fortifications ainsi que le passage de navires de guerre. C’est justement dans cette zone que s’est déroulé le principal épisode de la guerre, à savoir le siège de Sébastopol. Cette ville portuaire de la péninsule criméenne abritait une importante base navale qu’une expédition franco-britannique visait à conquérir. 

Le port de Sébastopol en 2005, à l’époque où la Crimée faisait partie de l’Ukraine. (Crédit photo : VascoPlanet Crimea Photography; source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sevastopol004.jpg, sous la licence CC BY-SA 2.0)

Le siège allait durer onze mois, d’octobre 1854 à septembre 1855, jusqu’à la prise de Sébastopol. Très lourde en pertes humaines, cette bataille a été immortalisée par un poème d’Alfred Tennyson, «The Charge of the Light Brigade» («La charge de la brigade légère»), qui commémore l’issue désastreuse d’une attaque par les forces anglaises.

D’ailleurs, la Crimée d’aujourd’hui n’a rien perdu de sa pertinence stratégique : on se souviendra qu’en 2014 la Russie s’est emparée de la péninsule alors qu’elle appartenait à l’Ukraine depuis 1954, en vertu d’un transfert décidé par les autorités de l’Union soviétique.  

Pourquoi m’intéresser à ce moment de l’histoire géopolitique ? Ce n’est pas tant la récente invasion de l’Ukraine qui y a attiré mon attention que mes recherches sur la Louisiane, figurez-vous. En dépouillant un journal de langue française de la paroisse Saint-Jacques, entre Bâton-Rouge et La Nouvelle-Orléans, j’ai constaté que le conflit de 1853-56 faisait alors l’objet d’une couverture abondante et approfondie, même si les États-Unis n’étaient pas parmi les belligérants. 

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Immigrants acadiens d’Argyle en Nouvelle-Angleterre et leur attachement au pays d’origine (Carmen d’Entremont)

Carmen d’Entremont est stagiaire postdoctorale à l’Observatoire Nord/Sud dans le cadre de l’initiative Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord et collaboratrice au projet Repenser l’Acadie dans le monde.

Entre le milieu du 19e siècle et la Seconde Guerre mondiale, 900 000 Canadiens français et plusieurs milliers d’Acadiens des Maritimes émigrent aux États-Unis. Lié à l’industrialisation, ce mouvement migratoire marquera l’histoire de l’Amérique française. Dans la région acadienne d’Argyle, au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, ce sont des pêcheurs en quête de nouvelles opportunités qui amorcent l’émigration, contrairement au Québec où, aux débuts, la population migrante est majoritairement constituée d’agriculteurs endettés. C’est à partir de 1871, un peu plus tard qu’au Québec, que l’immigration acadienne prend de l’ampleur. Si on a beaucoup étudié l’émigration des Canadiens français aux États-Unis, l’expérience acadienne a attiré moins d’attention des chercheurs.

Au cours des années 1980 et 1990, Claire Quintal, directrice-fondatrice de l’Institut français du Collège de l’Assomption au Massachusetts, organisait une dizaine de colloques afin de promouvoir une meilleure connaissance de la francophonie nord-américaine. Les actes rassemblent une quantité impressionnante de connaissances. Les articles portant sur l’émigrant acadien examinent notamment les causes du mouvement et ses effets sur la démographie, les interventions de l’élite, le patrimoine folklorique et la survivance du peuple émigré. Parmi les études effectuées à cette époque, celle de Laura Sadowsky sur les Acadiens de Chéticamp à Waltham est la plus approfondie. Sadowsky démontre que l’implication d’institutions francophones comme la paroisse et la French cluba favorisé la préservation du folklore aux États-Unis. Selon elle, c’est en faisant appel à la chanson et à la danse que les immigrants ont réussi à maintenir leur identité ethnique. Plus récemment, quelques universitaires ont analysé la participation des femmes à ce mouvement migratoire. Plusieurs aspects de l’exode restent inexplorés.

Le texte que je rédige pour le collectif Repenser l’Acadie dans le monde vise à cerner ce qui reste de l’acadianité chez une douzaine de descendants d’immigrants acadiens d’Argyle ayant vécu en Nouvelle-Angleterre pendant un minimum de 20 ans, et à saisir les moyens employés pour entretenir un sentiment d’appartenance. L’étude s’appuie sur un corpus d’entretiens constitué dans le cadre du projet « Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord », dirigé par l’historien Yves Frenette. Ici, je jetterai un coup d’œil sur les liens affectifs maintenus avec le lieu d’origine, notamment l’attachement à la Nouvelle-Écosse, un thème souvent évoqué lors des entretiens.

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Chroniques de la Côte : la carrière du capitaine de bateau à vapeur J. Gustave Landry (1818-1873), d’origine acadienne – 2ème partie

La perception de la société cadienne nous renvoie constamment à des stéréotypes : trappeurs évoluant dans un décor exotique, bons vivants ne faisant qu’attendre le Mardi gras, paysans bonasses ayant mené une existence bucolique jusqu’à leur brusque américanisation au début du 20e siècle… et ainsi de suite. Toutefois, l’évolution de la diaspora acadienne en Louisiane, implantée dans le sillage des Déportations de l’Acadie (1755-1763), n’est guère réductible à ces poncifs certes pittoresques, mais décidément simplistes.

En témoignent le milieu et la carrière du capitaine J. Gustave Landry, que nous avons commencé à explorer dans un précédent article des Carnets Nord/Sud. Issu d’une famille de planteurs de canne à sucre de la paroisse de l’Ascension, dont le membre le plus célèbre était son oncle et beau-père Trasimond Landry (1795-1873), qui fut lieutenant-gouverneur de la Louisiane de 1846 à 1850, le capitaine Landry allait témoigner au cours de sa vie de l’intégration économique, politique et, jusqu’à certain point, sociale de la communauté francophone en contexte états-unien. Et il allait contribuer à ce processus en vertu de son implication dans le domaine des transports fluviaux, bien que ses activités professionnelles ne se limitent pas à ce secteur. 

Pour plusieurs observateurs de l’époque, l’amélioration des technologies, des infrastructures et des réseaux de communication était destinée à assurer la cohésion nationale. De retour d’un séjour aux États-Unis au tournant des années 1820, l’aristocrate suédois Axel Klinkowström (1775-1837) exprimait sa conviction que la navigation à vapeur, étant susceptible de « faciliter les communications » et « d’ouvrir de nouvelles routes commerciales », pouvait souder les nations aux territoires immenses et aux populations diverses, comme les États-Unis et la Russie. À ses yeux, cette révolution des transports contribuerait « puissamment à rapprocher les hommes et à resserrer de plus en plus les liens d’une fraternelle union entre les habitants des contrées les plus éloignées[1]. »

Une vingtaine d’années plus tard, un magazine américain allait abonder dans le même sens : « [La navigation à vapeur] donnera à la république un cœur national et un esprit national[2]. » Tel se voulait le sentiment dominant à l’époque où, en entrant dans la fleur de l’âge, Gustave Landry envisageait, avec son partenaire William Winchester, la construction et l’acquisition de l’Eliska, bateau à vapeur nommé en l’honneur de son épouse Éliska Mire et mis en service en octobre 1846.

La popularité de son itinéraire entre La Nouvelle-Orléans et Bâton-Rouge, qui allait de pair avec la réputation reluisante de son capitaine, a été exposée dans ma première chronique.

Transatlantic sketches–the Mississippi River. The Illustrated London News, 10 avril 1858 (Library of Congress – https://www.loc.gov/item/2008680447/)

Une contradiction s’impose, pourtant. En même temps que la navigation interne aide, dans la première moitié du 19e siècle, à unifier le pays, elle contribue également à l’expansion de l’institution qui va diviser les États-Unis au point de déclencher la guerre civile de 1861-65 : il s’agit bien sûr de l’esclavage. Autre contradiction flagrante, qui n’est pas des moindres : ce sont les richesses créées par le système esclavagiste qui, tout en se fondant sur la misère humaine, assurent la prospérité du « pays de la liberté » en tant que puissance industrielle, comme le rappelle l’historien Edward E. Baptist dans son ouvrage The Half Has Never Been Told: Slavery and the Making of American Capitalism (Basic Book, 2014).

Né dans un milieu profondément esclavagiste, J. Gustave Landry n’évolue guère en marge de ces réalités, car les perspectives qui s’offrent à lui sont définies par l’esclavagisme.

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Chroniques de la Côte : la carrière du capitaine J. Gustave Landry (1818-1873), d’origine acadienne – 1ère partie

L’héritage des bateaux à vapeur habite ma conscience depuis ma prime enfance. Nichée dans le nord-ouest de la Louisiane, ma ville natale de Shreveport porte le nom du capitaine Henry Miller Shreve (1785-1851), ingénieur et navigateur qui, d’après l’abrégé de sa carrière qui nous fut exposé à l’école, avait dégagé la rivière Rouge de son « grand radeau », soit un ensemble d’embâcles naturels formés de troncs d’arbres et de dépôts, dans les années 1830. Son exploit avait ouvert notre région au trafic fluvial et, du coup, contribué à l’expansion de la nation états-unienne après l’acquisition de la Louisiane au début du dix-neuvième siècle.

Connue depuis longtemps et appliquée aux transports à partir du dix-huitième siècle, la technologie de la vapeur allait devenir un important moteur de la révolution industrielle et de la mondialisation économique. Dans une étude devenue classique, Louis C. Hunter et Beatrice Hunter résument, sur un ton triomphaliste, son rôle dans la colonisation de l’intérieur du continent nord-américain : « Dans le développement de la plus grande partie du vaste bassin du Mississippi, qui est passée d’une société frontalière brute à la maturité économique et sociale, le bateau à vapeur a été le principal agent technologique. Pendant le deuxième quart du dix-neuvième siècle, les roues du commerce dans cette vaste région étaient littéralement des roues à aubes[i]. »

Henry Miller Shreve n’est pas le seul pionnier dont le nom est retenu par la postérité : avant lui, il y avait notamment Robert Fulton (1765-1815), également l’inventeur du premier sous-marin (Nautilus), et son associé Robert Livingston (1746-1813), diplomate et partenaire dans la construction du North River Steamboat, lancé en 1807. Dans leur sillage, une foule d’autres individus, bien moins connus, allaient participer de l’essor de la navigation fluviale à cette époque. En Louisiane, certains d’entre eux sont issus de la communauté francophone, voire de la diaspora acadienne. Dans ce billet, il sera question du capitaine Joseph Gustave Landry (1818-73), d’origine acadienne.

Le port de La Nouvelle-Orléans vers 1851. John Bachmann, « Birds’ eye view of New-Orleans » (New York : A. Guerber & Co., c1851; Library of Congress : https://lccn.loc.gov/93500720)

Cette modeste esquisse vient inaugurer un nouveau volet des Carnets Nord/Sud, c’est-à-dire les « Chroniques de la Côte ». Plutôt qu’à une façade océanique, le titre de cette série renvoie à la zone constituée par les rives du fleuve Mississippi entre La Nouvelle-Orléans et Bâton-Rouge – et plus précisément à la région dénommée « Côte des Acadiens » dès l’arrivée des premières familles acadiennes dans les années 1760, sous les auspices du gouvernement espagnol, et située dans les actuelles paroisses (civiles) de Saint-Jacques et de l’Ascension. Pays d’exploitations sucrières au dix-neuvième siècle, c’est aussi un foyer de la créolisation culturelle qui caractérise la Louisiane francophone, d’autant plus que la majorité de la population a été, pendant longtemps, d’ascendance africaine.

Les « Chroniques de la Côte » feront état, pour un public général, de certaines trouvailles et réflexions dans le cadre du projet : « Africains et Acadiens en Louisiane francophone », relevant de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT) de l’Université Sainte-Anne.

Dans cet esprit, quelques éléments de la biographie et de la carrière du capitaine Landry nous permettent d’entrevoir l’intégration de la communauté d’origine acadienne dans la Louisiane américaine.

Bien qu’il vienne au monde après l’incorporation de la Louisiane dans le giron des États-Unis, le souvenir du Grand Dérangement n’est pas très éloigné dans sa famille. Son grand-père Joseph Landry, dit Bel Homme (1752-1814), est né à Grand-Pré en 1752, avant d’être déporté avec ses parents vers le Maryland. C’est d’ailleurs dans cette colonie que naît la future grand-mère du capitaine Landry, Anne Bujol (1758-1816), fille des exilés Joseph Bujol et Anne LeBlanc. Sa famille s’étant installée en Louisiane, Joseph se marie pour une première fois en 1775, puis, veuf, épouse Anne en novembre 1779. Fermier esclavagiste qui « possède » déjà quatre personnes à cette époque, c’est un officier de la milice qui, plus tard, tâtera de la politique, se faisant élire à l’assemblée législative louisianaise.

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Mois de l’histoire des Noirs : les Afro-Américains tenus en esclavage par une famille acadienne en Louisiane (dans Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, 25 février 2022)

Note : Cette série de deux chroniques a paru dans Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, éditions du 11 et 25 février 2022, sous la rubrique Au rythme de notre monde. Elles font état, pour un lectorat général, de l’avancement d’un projet de recherche de la CRÉAcT dont la première étape a fait l’objet d’un article publié en 2018 dans la revue Histoire engagée.

1ère PARTIE

Mo déjà roulé tout lakot,
Pencor war parèy bèl Layotte…

Ce sont là les paroles d’une chanson en langue créole qui, du temps de l’esclavage, aurait rythmé le travail des ouvriers captifs condamnés aux champs de canne à sucre du sud de la Louisiane. En lisant à haute voix, vous pourrez probablement, grâce à la proximité lexicale du français, saisir le sens de cet éloge d’une femme admirée, «la belle Layotte», auprès de qui l’on demande l’intervention d’un ami :

Jean Babèt, mô nami,
Si vou kouri par enho,
Vou mandé bèl Layotte,
Cado-la li té promi mwin.

Or, parmi les milliers de personnes tenues en esclavage qui auraient connu et chanté ces vers, toutes n’étaient pas nées en Louisiane et, pour un nombre considérable d’entre elles, le créole ou le français auraient été leur deuxième langue, apprise à la suite de leur arrivée d’un autre État, comme la Virginie ou la Caroline du Nord. À l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, il s’agira dans cette série de deux chroniques de lever un coin de voile sur mes recherches en cours sur les victimes du commerce esclavagiste à l’intérieur des États-Unis, tout en rendant hommage à leur résilience et à leur courage.

Entre 1790, c’est-à-dire juste après l’adoption de la constitution américaine, et 1860, soit à la veille de la guerre de Sécession, près d’un million de femmes et d’hommes d’origine africaine furent transportés de force depuis le Haut Sud vers le Sud profond. Cette migration forcée a été stimulée par l’expansion des plantations de coton, à travers tout le Sud, et, en Louisiane, de l’industrie sucrière. D’ailleurs, l’interdiction de la traite esclavagiste transatlantique, à partir de 1808, eut pour conséquence d’encourager le trafic humain au sein du pays, faute de main-œuvre en provenance de l’Afrique.

À titre de comparaison, sur les 12 millions de femmes, hommes et enfants qui, entre le 16e et le 19e siècles, ont subi le «Passage du milieu»ou la pénible traversée de l’Afrique aux Amériques, un peu de moins de 400 000 d’entre elles et eux ont abouti en Amérique du Nord. Autrement dit, le marché intérieur aura bouleversé l’existence de plus de deux fois plus d’Afro-Américains que le commerce transatlantique, reconnu pourtant comme un crime contre l’humanité. Tant et si bien que les déplacements occasionnés par le marché national sont parfois qualifiés de «second Passage du milieu».

«Ce nouveau commerce interurbain était dominé par des entreprises permanentes bien organisées», explique l’historien Walter Johnson dans son ouvrage Soul by Soul: Life Inside the Antebellum Slave Market (1999).

Les esclaves étaient rassemblés à Baltimore, Washington, Richmond, Norfolk, Nashville et St-Louis, puis envoyés vers le Sud, soit par voie terrestre, attachés par des chaînes, soit par des voiliers longeant la côte ou bien par des bateaux à vapeur descendant le Mississippi. Ces esclaves étaient vendus sur les marchés urbains de Charleston, Savannah, Mobile, Natchez et surtout de La Nouvelle-Orléans. Contrairement à l’image populaire, la plupart de ces esclaves n’étaient pas vendus rapidement lors de grandes ventes aux enchères publiques, mais dans le cadre d’accords privés conclus dans les parcs à esclaves tenus par les marchands d’esclaves.

Ce commerce en est venu à constituer une pierre angulaire de l’économie du Sud et, par conséquent, du pays entier. Toutefois, l’aspect économique ne doit pas voiler la dimension humaine de ce drame effroyable.

Puisque La Nouvelle-Orléans servait de plaque tournante de ce réseau, un certain nombre de ces Afro-Américains étaient destinés à des plantations appartenant à des familles d’origine acadienne. Mon projet de recherche explore le cas de la plantation C. P. Melançon et Cie, située dans la paroisse St-Jacques, entre Bâton-Rouge et La Nouvelle-Orléans. Cette habitation sucrière fut reçue en héritage par Constant Paul Melançon et ses frères et sœurs, tous enfants de Joseph Melançon fils (1788-1833), mort lors d’une épidémie de choléra, et Constance LeBlanc (1794-1856).

Ce qui a attiré mon attention sur cette famille et sur les gens esclavagisés sur leur plantation, c’est un fait divers sur lequel je suis tombé, par pur hasard, en feuilletant l’un des vieux journaux de la Louisiane francophone : en juillet 1858, Constant Melançon fut tué par Toussaint, l’un de ses esclaves qui avait grandi à ses côtés. Cet incident montre bien à quel point le système esclavagiste pouvait engendrer des formes de résistance, jusqu’au rejet violent de cette condition inacceptable.

À deux reprises, les Melançon avaient eu recours aux marchands d’esclaves de La Nouvelle-Orléans pour grossir les rangs de leurs ouvriers captifs, artisans et travailleurs agricoles. En janvier 1831, Joseph Melançon avait fait l’acquisition de huit jeunes hommes; bien plus tard, en 1853, quatre de ses fils allaient acheter huit autres hommes au moment de s’associer en tant que partenaires. En Louisiane francophone, ces Noirs provenant d’autres régions des États-Unis portaient la désignation «d’Américains», par opposition aux Créoles nés en Louisiane.

Un récent voyage de recherche aux États-Unis m’a donné l’occasion de me lancer sur les traces du premier groupe. Le contrat qui se trouve aux archives notariales de La Nouvelle-Orléans révèle que ces huit hommes et adolescents ont été vendus par un James Huie, résident du comté de Rowan en Caroline du Nord. Ils s’appelaient Abraham (19 ans), Allen (16 ans), Ben (14 ans), Booker (19 ans), Calton (19 ans), Ralph (16 ans) et Tom (18 ans). Leur expérience nous permettra de mieux comprendre l’interaction entre la diaspora acadienne en Louisiane, parmi laquelle l’esclavagisme s’était généralisé, et la diaspora africaine en Amérique du Nord.

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Tout le monde est invité ! 9 février 2022 : «Les Acadiennes louisianaises du Sacré-Cœur de Jésus, entre interculturalité et mobilité interrégionale», conférence de Clint Bruce

Tout le monde est invité à assister à une conférence publique du professeur Clint Bruce, le 9 février 2022 à 19h00 (Atlantique) : «Les Acadiennes louisianaises du Sacré-Cœur de Jésus, entre interculturalité et mobilité interrégionale». Cette activité est organisée par le Groupe de recherche sur les archives et les femmes en Acadie (GRAFA), en collaboration avec l’Observatoire Nord/Sud. Voici le lien Zoom pour accéder à la conférence : https://us02web.zoom.us/j/88042581625?pwd=emdoOUl0NFZBZS81L0Z4RC82TzQ2QT09 

Résumé : La perception de la société cadienne nous renvoie constamment à des stéréotypes : trappeurs évoluant dans un décor exotique, bons vivants ne faisant qu’attendre le Mardi gras et ainsi de suite. Cette conférence a pour but de révéler une autre facette de la diaspora acadienne en Louisiane, celle de l’expérience des femmes ayant choisi la vocation religieuse au 19e siècle. Au cœur de cette recherche se trouve l’autobiographie de Marie-Désirée Martin (1830-77), intitulée : Les Veillées d’une sœur, ou le destin d’un brin de mousse (1877). Arrière-petite-fille d’Acadiennes et d’Acadiens déportés, l’auteure se réfère à la mémoire de ses ancêtres – féminines, surtout – pour donner sens à son propre vécu, notamment à sa décision de quitter l’ordre religieux qu’elle avait rejoint à l’âge de 16 ans, la Société du Sacré-Cœur de Jésus, une congrégation française établie en Amérique dès 1818. Une autre dimension saisissante du récit de Martin concerne les personnes tenues en esclavage par sa famille, qu’elle évoque avec tendresse tout en déplorant les injustices que ces premières ont subies. À partir d’un examen des collections pertinentes du centre d’archives du Sacré-Cœur à Saint-Louis (Missouri), il s’agira de comparer la trajectoire de Martin à celles d’autres Acadiennes louisianaises au sein de la Société du Sacré-Cœur. Deux aspects seront abordés : les rapports interculturels, y compris les interactions entre les religieuses et les personnes tenues en esclavage par la congrégation, d’une part, et la mobilité continentale et transnationale des religieuses, d’autre part.

Cette recherche s’inscrit dans le cadre de l’initiative Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord, 1640-1940.

Clint Bruce est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT) à l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, où il enseigne au Département des sciences humaines. Il y est également directeur de l’Observatoire Nord/Sud, centre de recherche rattaché à la CRÉAcT, et codirecteur de la revue Port Acadie. Ses recherches portent sur la diaspora acadienne, sur la Louisiane francophone et sur le monde atlantique. Son livre Afro-Creole Poetry in French from Louisiana’s Radical Civil War-Era Newspapers: A Bilingual Edition (The Historic New Orleans Collection, 2020) a remporté le prix Lois-Roth pour la traduction littéraire, décerné par la Modern Language Association. 

Carmen d’Entremont se penchera sur les migrations acadiennes dans le cadre de son stage postdoctoral

Pointe-de-l’Église (N.-É.), le 21 septembre 2021 – Ethnologue expérimentée dans le domaine des traditions orales des régions acadiennes, Carmen d’Entremont effectue présentement un stage postdoctoral qui vise à retracer les motifs et les impacts des migrations circulaires entre les régions de Par-en-Bas et la Nouvelle-Angleterre.

Chercheuse associée de l’Observatoire Nord/Sud et membre de l’équipe de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT), son stage postdoctoral est financé par le projet Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord (1640-1940) (TSMF). Ce dernier est sous la direction de l’historien Yves Frenette, titulaire de la Chaire de recherche du Canada de niveau 1 sur les migrations, les transferts et les communautés francophones, située à l’Université de Saint-Boniface.

« Carmen d’Entremont n’est pas une étrangère au sein du projet Trois siècles de migrations francophones, puisqu’elle était impliquée au Centre acadien et à l’Observatoire Nord-Sud, deux institutions partenaires importantes. Dans son nouveau rôle de stagiaire postdoctorale, cette expérience lui sera profitable, mais surtout elle contribuera au chantier de recherche sur les relations entre l’Acadie du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, particulièrement la région de Par-en-Bas, et la Nouvelle-Angleterre. En outre, elle apporte au projet une perspective ethnologique fort bienvenue. »

– Yves Frenette, titulaire de la Chaire de recherche du Canada de niveau 1 sur les migrations, les transferts et les communautés francophones à l’Université de Saint-Boniface

Le projet de recherche Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord (1640-1940) explore la genèse et l‘évolution des populations francophones sur le continent nord-américain et nourrit les réflexions sur les enjeux de l’immigration, de la diversité culturelle et du vivre-ensemble.

Carmen se penchera plus particulièrement sur des questions d’identité avec l’aide de récits et de témoignages recueillis, qu’elle utilisera pour reconstituer l’historique des expériences migratoires (l’histoire orale) et saisir les points de vue, traditions, sentiments et valeurs de la culture étudiée (les traditions orales). Elle travaillera de près avec le professeur Clint Bruce, titulaire de la CRÉAcT, ainsi qu’avec des associations locales comme la Société historique acadienne de la Baie Sainte-Marie et le Musée des Acadiens des Pubnicos et Centre de recherche Père-Clarence-d’Entremont.

Collection de Carmen d’Entremont

À propos de l’Université Sainte-Anne

L’Université Sainte-Anne, la seule université francophone en Nouvelle-Écosse, offre des programmes d’études universitaires et collégiales ainsi que des programmes d’immersion et de formation sur mesure en français langue seconde. Reconnue pour l’excellence de ses programmes et son milieu de vie unique et exceptionnel, elle offre des occasions d’apprentissage expérientiel favorisant l’engagement et la réussite des étudiants et un contexte favorable à l’établissement d’une culture d’excellence en recherche et en développement. Résolument ancrée dans son milieu, elle est un partenaire de choix pour accroître la vitalité des régions entourant ses campus et de l’Acadie de la Nouvelle-Écosse dans son ensemble.

Pour plus d’information      

Rachelle LeBlanc, Directrice des communications et du marketing
Université Sainte-Anne
Tél. : 902-769-2114, poste 7222
Courriel : rachelle.leblanc@usainteanne.ca

«Les vieilles barrières n’existent plus» : premier discours d’investiture d’Edwin W. Edwards (1927-2021), quatre fois gouverneur de la Louisiane

Symboliquement, le geste allait résonner haut et fort, bien plus loin que la foule immense rassemblée pour la cérémonie d’investiture qui se déroulait sur les marches du capitole de l’État de Louisiane, le 9 mars 1972, à Bâton-Rouge, lorsque le nouveau gouverneur, le brillant et charismatique Edwin W. Edwards, a prêté serment d’abord en français, ensuite en anglais, pour marquer son entrée en fonction. C’était une revanche de l’histoire longtemps attendue en Louisiane, où la langue française avait été bannie des écoles publiques et honnie pendant des générations, au point d’être menacée de disparition. Quatre ans plus tôt, la création du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL) avait inauguré une nouvelle dynamique de promotion du fait français et d’échanges avec les pays francophones. Né en 1927 dans la paroisse des Avoyelles, le gouverneur Edwards, qui avait débuté sa carrière d’avocat en desservant une clientèle francophone dans sa ville d’adoption de Crowley (paroisse d’Acadie), semblait incarner le renouveau qui animait la Louisiane aux tournant des années 1970.

Edwin W. Edwards en 1986, pendant son troisième mandat. (Source : 1986 Northwestern State University Potpourri Yearbook)

Décédé le 12 juillet 2021 à l’âge de 93 ans, Edwards a eu quatre mandats comme gouverneur d’un État dont il semblait réunir, en sa seule personne, l’esprit latin, la personnalité haute en couleur et les contradictions trop souvent tragiques. Tout en menant une importante réforme constitutionnelle pendant son premier mandat, il s’adonnait à un train de vie aux excès notoires et contribuait aux pratiques de trafic d’influence. Alors qu’il aurait pu devenir président, il allait être condamné pour taxage en 2001 avant de purger une peine de huit ans en prison fédérale. Du début à la fin, il était fier d’être francophone et fier de l’héritage francophone de la Louisiane.

Très tôt, le gouverneur Edwards s’est également engagé contre le racisme et pour la justice raciale. Fortement apprécié de la population afro-américaine, il voyait une convergence entre l’expérience historique des Cadiens – groupe qui comprenait, pour lui, les Créoles blancs des milieux ruraux – et celle des Noirs, anglophones comme francophones et créolophones. Afin de souligner cet aspect de sa contribution à la modernisation de la Louisiane, nous reproduisons ci-dessous des extraits en traduction française de son discours d’investiture de 1972, dont la version intégrale, en anglais et en français, se trouve ici :

Les aspirations véhiculées dans cette allocution sont exprimées dans cette phrase pleine d’espoir : «Les vieilles barrières imaginaires n’existent plus. Mon élection a détruit les vieux mythes, et un esprit nouveau est avec nous.»

Au revoir, Monsieur le Gouverneur…

Extraits de la traduction française du premier discours d’investiture du gouverneur Edwin W. Edwards, Bâton-Rouge, 9 mai 1972 (à partir du texte anglais publié dans le Daily Advertiser de Lafayette)

Révérends membres du clergé, Gouverneur et Mme McKeithen, distingués membres du Congrès, Mesdames et Messieurs de l’assemblée législative, citoyens de la Louisiane :

S’il y a une leçon que nous devrions avoir apprise au cours des vingt dernières années, c’est que les gouvernements des États vont soit assumer leurs responsabilités, soit être balayés par le courant de l’histoire, ne laissant que leur poussière pour s’accumuler sur leurs propres ruines.

Faire avancer la Louisiane

De nombreux États, comme le nôtre, sont empêtrés dans des systèmes tellement archaïques qu’ils n’ont pas eu l’occasion de se montrer à la hauteur de ces responsabilités. De plus en plus d’États réalisent que si leurs gouvernements doivent être efficaces, ils ne doivent pas être enchaînés par les idées du dix-neuvième siècle. […]

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