Après la délégation acadienne en France, vers un renouveau des échanges entre les municipalités?

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 17 décembre 2021 du Courrier de la Nouvelle-Écosse, sous la rubrique «Au rythme de notre monde».

L’occasion a été qualifiée d’historique, et pour cause. Le 24 novembre dernier, l’écrivaine acadienne Antonine Maillet recevait l’insigne de commandeur de la Légion d’honneur, l’une des plus hautes distinctions accordées par la République française, lors d’une visite avec le président Emmanuel Macron. Connue pour le personnage de la Sagouine et lauréate du prix Goncourt de 1979 pour son roman Pélagie-la-Charrette, Maillet continue, du haut de ses 92 ans, de faire entendre la voix de l’Acadie à travers la francophonie.

Or, la symbolique de cette consécration reflète des aspirations qui dépassent, et de loin, la seule reconnaissance de notre plus grande écrivaine. La cérémonie tenue à l’Élysée aura marqué le point culminant d’une tournée d’une importante délégation acadienne en France, menée par la Société nationale de l’Acadie et composée d’une trentaine de personnes issues de divers secteurs. Ses éventuelles retombées pourraient bénéficier grandement au dynamisme de la société acadienne.

C’est ce que l’histoire nous enseigne, d’ailleurs. Les relations France-Acadie sont entrées dans l’ère moderne lorsque le président Charles de Gaulle a accueilli quatre représentants acadiens, en janvier 1968. Il en est sorti une aide financière considérable pour le journal L’Évangéline, des échanges éducatifs et, un peu plus tard, la création des Amitiés acadiennes, organisme soutenu par la Fondation de France et le ministère des Affaires étrangères. En 1999, le 8e Sommet de la Francophonie a eu lieu à Moncton, rassemblement majeur s’il en est. Depuis 2007, une entente France-Acadie, placée sous l’égide de la SNA, encadre la coopération entre l’Acadie de l’Atlantique et la République française.

Ces acquis n’échappent pas à une certaine fragilité qui caractérise notre petite société sans État. Il n’y a pas très longtemps, le consulat général de France à Moncton risquait de tomber sous la hache des compressions budgétaires. Il a été sauvé par une levée de boucliers de part et d’autre de l’Atlantique – campagne dont le fer de lance n’était nulle autre qu’Antonine Maillet.

Le nouveau président de la SNA, Martin Théberge, appelle de ses vœux un renforcement des relations avec la France et avec la francophonie internationale. Si c’était déjà une priorité sous ses prédécesseurs, notamment Françoise Reux-Enguehard (2006-2012) et Louis Imbeault (2017-2021), la récente délégation aura peut-être insufflé un nouvel élan. D’après une déclaration de M. Théberge, le président Macron aurait l’intention, si réélu l’an prochain, de se rendre au Congrès mondial acadien 2024, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.

L’un des domaines que la SNA souhaite privilégier, c’est l’intermunicipalité, c’est-à-dire la coopération internationale au niveau des villes et des collectivités locales. Il existe des réseaux de villes, comme l’Association internationale de maires francophones, ainsi que des échanges bilatéraux entre des « villes sœurs ». L’annonce de cette intention m’interpelle au plus haut point, car, depuis 2017, l’Observatoire Nord/Sud mène une enquête sur les jumelages de villes aux provinces Maritimes, où il existe environ plus d’une soixantaine d’ententes de ce type.

Selon les renseignements dont nous disposons, il y aurait une douzaine de jumelages actifs entre des municipalités des Maritimes et des communes en France, dont quatre avec la Nouvelle-Écosse et huit avec le Nouveau-Brunswick. À noter que c’est à peu près le même nombre qu’avec des municipalités en Louisiane, qui représente l’autre pôle dominant des villes-sœurs de nos communautés francophones. 

La plupart de ces jumelages s’inspirent de l’héritage acadien ou s’inscrivent explicitement dans la mémoire du Grand Dérangement. C’est le cas, par exemple, de l’entente entre Shippagan et Loudun et, ici en Nouvelle-Écosse, de celle liant Argyle à Belle-Île-en-Mer.  Détail intéressant, la commune de Châtellerault, lieu de débarquement de près d’un millier de réfugiés acadiens en 1774, est jumelée à la fois avec Bouctouche et Cocagne, par l’intermédiaire de la Société culturelle du comté de Kent-Sud (Nouveau-Brunswick), ainsi qu’avec Cocagne, dans la même région.

D’autres ont leur origine dans les deux guerres mondiales. La municipalité néo-brunswickoise de Dieppe a reçu son nom en 1946, en l’honneur des militaires canadiens ayant pris part à l’attaque du 19 août 1942 sur les côtes de Normandie. Les deux Dieppe sont devenues des villes-sœurs en 2000, ce qui a permis d’actualiser les échanges. Plus récemment, en 2017, la Municipalité régionale du Cap-Breton s’est liée avec Givenchy-en-Gohelle, tout près du site de la bataille de la Crête de Vimy. À l’occasion du centenaire de cet événement, le village a inauguré l’Allée du 85e Bataillon des Nova Scotia Highlanders.

Bien qu’un certain nombre de ces jumelages s’en tiennent au registre symbolique, quelques-uns donnent lieu à des échanges soutenus et enrichissants. Chaque été, du moins en temps normal (c’est-à-dire hors pandémie), la ville d’Annapolis Royal reçoit de Royan (Charente-Maritime) des stagiaires du Lycée des Métiers du Tourisme Cordouan, initiative qui améliore l’offre francophone à l’approche de la saison touristique tout en resserrant les liens humains entre les deux communes. Le jumelage entre Caraquet et Marennes (Charente-Maritime), l’un des plus anciens du Canada atlantique, ayant été établi en 1973, a été relancé en 2014. Ce renouveau s’est traduit par des résidences d’artistes de Marennes à Caraquet, par une participation néo-brunswickoise au Forum local de la coopération francophone en 2017 et 2018, et par des délégations réciproques du secteur de la pêche en 2018 et 2019. 

Ces deux exemples ne font que lever un coin de voile sur le potentiel des relations intermunicipales. La France, elle, mise de plus en plus sur la « coopération décentralisée », selon le terme en vigueur, entre des communes et des régions. Le consul de France, M. Johan Schiterrer, souhaite ardemment mettre la politique de son pays au service des relations avec l’Acadie.

Martin Théberge, quant à lui, m’a expliqué par courriel : « Du côté de la SNA, nous sommes engagés en l’avancement du dossier puisque nous y voyons une avenue porteuse qui permettra de développer un nouvel angle d’approche pour le développement de l’Acadie. »

Des démarches ont déjà été entreprises en ce sens. Une discussion a eu lieu à Paris entre le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, d’un côté, et le ministre des Affaires acadiennes et Francophonie de la Nouvelle-Écosse, M. Colton LeBlanc, le secrétaire principal du premier ministre du Nouveau-Brunswick, M. Paul D’Astous, accompagné de deux représentantes du ministère des Affaires intergouvernementales (Isabelle Doucet, directrice de la Francophonie internationale et multilatérale, et Sophie LeBlanc, conseillère). Dans la foulée de cette rencontre, la Société nationale de l’Acadie est en train d’approcher des partenaires possibles, notamment au sujet de la coopération économique. 

Tandis que notre province fait montre d’une grande ouverture à l’égard de la Francophonie internationale, une réforme imminente de la gouvernance municipale au Nouveau-Brunswick pourra faciliter une initiative en faveur des jumelages.

L’Acadie a besoin d’alliances et de partenariats solides pour relever les défis du 21e siècle. Mon souhait pour l’année 2022 va dans ce sens… sans oublier la fin de la pandémie, bien sûr !

M. Clint Bruce

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