Depuis le parution de ce texte dans Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, le Conseil d’orientation du Comité international des Jeux de la Francophonie (CIJF) a décidé de relancer le concours pour accueillir les Jeux de 2021, n’ayant reçu aucune candidature depuis le désistement du Nouveau-Brunswick. De son côté, le Comité national organisateur des IXes Jeux de la Francophonie 2021 (CNJF) a publié cette déclaration afin de mieux expliquer sa position.
Il faut parfois appeler les choses par leur nom. Il y a quelques jours le gouvernement du Nouveau-Brunswick annonçait sa décision de se retirer des Jeux de la Francophonie, que la province devait accueillir en 2021. C’est la débâcle.
Le premier ministre Blaine Higgs (PCNB) impute ce désistement à une prévision budgétaire devenue exorbitante. Bien loin des 17 millions $ anticipés initialement, un plan d’affaires ultérieur faisait gonfler les dépenses à 130 millions $ – un coût total huit fois plus élevé – avant que le chiffre ne soit revu à la baisse (à 62 millions $).
Trop peu, trop tard.
Les suites du dossier évoluent rapidement. Au moment de mettre sous presse (14 février), le Conseil d’orientation du Comité international de Jeux de la Francophonie (CIJF) est réuni à Paris pour trouver une solution. Il y a de fortes chances que cet événement d’envergure internationale soit récupéré par Sherbrooke – ville rivale de Moncton-Dieppe lors de la sélection –, Québec ou encore Winnipeg.
Quoi qu’il en advienne, l’épisode est instructif. Cette « affaire des Jeux » met en lumière les enjeux de l’actuelle crise politique que vivent les francophones non seulement au Nouveau-Brunswick mais aussi en Ontario.

Rappelons que ces deux provinces ont élu en 2018 des gouvernements indifférents, voir hostiles, au fait francophone. Or, la représentation internationale constitue une voie importante de l’affirmation des minorités linguistiques. Les priver de ce levier revient à s’attaquer à leur légitimité en tant que peuples.
C’est dans ce sens qu’abondent les réactions des organismes porte-parole de la collectivité francophone. Un communiqué de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) déplore « une remise en question fondamentale non seulement de la place qu’occupe le Nouveau-Brunswick au sein du Canada, mais également de la place qu’occupe l’Acadie au sein de la Francophonie internationale ».
Louise Imbeault, présidente de la Société nationale de l’Acadie (SNA), y voit « un recul important pour toute la société acadienne », même au-delà du Nouveau-Brunswick. S’exprimant dans L’Acadie Nouvelle, elle souligne la pertinence des Jeux de la Francophonie par une formule lapidaire : « Y renoncer, c’est infliger un œil au beurre noir à toute l’Acadie. »
C’est sans doute vrai. Mais les enjeux politiques vont plus loin qu’un désir ou un refus de la reconnaissance de l’Acadie du Nouveau-Brunswick. Reculons donc un peu.
Tenus sous l’égide de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), les Jeux de la Francophonie ont lieu tous les quatre ans depuis 1989. À l’instar des jeux de l’antiquité, il s’agit d’une compétition multisports à laquelle s’ajoutent des concours culturels.
La 8e édition des Jeux s’est déroulée à l’été 2017 à Abidjan (Côte d’Ivoire), où le Nouveau-Brunswick, déjà désigné pour 2021, a joui d’une visibilité marquée. En plus de la médaille d’or remportée par Shelley Doucet au marathon féminin, le Nouveau-Brunswick a brillé dans les catégories de la sculpture (Émilie Grace Lavoie, bronze), de la photographie (Noël Annie France, argent) et de la littérature (Gabriel Robichaud, argent).

Gabriel Robichaud, qui vient de recevoir, sur les entrefaites, le prix Champlain pour son recueil Acadie Road (Perce-Neige, 2018), s’est indigné publiquement de l’annulation des Jeux. « [O]n jette à la poubelle des décennies d’efforts diplomatiques pour faire du Nouveau-Brunswick un joueur important sur l’échiquier international », a-t-il déclaré à l’émission L’heure de pointe Acadie, d’ICI Radio-Canada.
La présence du Nouveau-Brunswick au sein de la Francophonie remonte à 1977. Au début des années 70, le Canada et le Québec avaient trouvé un compromis pour que la Belle Province bénéficie d’un statut à part, celui de « Canada-Québec ». Le Nouveau-Brunswick a pu adopter la même formule, appliquée également à « Canada-Ontario », membre observateur depuis 2016.
La tenue à Moncton du Sommet de la Francophonie de 1999 a permis de rehausser le caractère francophone du sud-est de cette province bilingue. En attirant des délégations d’une soixantaine de pays, les Jeux de 2021 auraient renforcé cet effet.
Ce n’est pas forcément ce que veut le Parti conservateur du Nouveau-Brunswick, version 2018-19, adossé au très francophobe People’s Alliance. Le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales Dominic LeBlanc, député du Nouveau-Brunswick, prétend que les progressistes-conservateurs « ont toujours planifié de saboter les Jeux ».
À tout le moins, le gouvernement Higgs a fait preuve de mauvaise foi. Il a notamment négligé de contacter l’OIF et, aux dires des ministres fédérales Mélanie Joly (Francophonie) et Kirsty Duncan (Sciences et Sports), de solliciter le gouvernement fédéral en bonne et due forme.
Toutefois, ce beau gâchis a commencé sous son prédécesseur, le libéral Brian Gallant. Ce dernier savait depuis le mois de mars le prix élevé des Jeux – le devis initial de 17 millions $ ayant été invraisemblable dès le début, soit dit en passant.
Avec sa verve habituelle, le chroniqueur Rino Morin Rossignol, de L’Acadie Nouvelle, brosse le scénario suivant :
« Entrons dans les coulisses imaginaires du pouvoir. On peut facilement penser que le Gallant gouvernement croyait qu’il remporterait la victoire aux élections de septembre dernier […], et que ce dossier incomplet serait rafistolé à Ottawa, grâce […] aux tuteurs fédéraux de l’Acadie, afin de bonifier le budget sans faire de vague pancanadienne. Et quel beau “cadeau” à faire aux Acadiens en cette année 2019 électorale ! »
Nul besoin de croire au complot concerté pour voir dans cette histoire une gestion on ne peut plus irréfléchie. Gestion ayant abouti à des résultats lamentables.
D’une part, les efforts sincères du comité organisateur sont réduits à néant. D’autre part, la tête de la francophonie néo-brunswickoise vient d’être offerte sur un plateau d’argent aux franco-sceptiques de tous poils, d’emblée enclins à s’exclamer que « le bilinguisme coûte cher ».
La poussière retombée, une question s’imposera : l’Acadie de l’Atlantique peut-elle vraiment compter sur le système politique actuel pour assurer son épanouissement et son rayonnement dans le monde ?
Il est permis d’en douter.
Observatoire Nord/Sud de l’Université Sainte-Anne