De Pubnico à la ville créole – ou : passer son temps à lire le bottin

Au fil de l’histoire – Hier soir, ayant terminé une journée de recherche aux archives de la bibliothèque municipale de la Nouvelle-Orléans, j’ai demandé à mon chauffeur d’Uber de me déposer au 3223, rue Upperline, dans le quartier de Broadmoor. C’était un coup de tête, car ce n’est pas là où se trouve l’appart loué pendant mon bref séjour ici. C’est à cette adresse, que je venais de confirmer dans le City Directory de 1964, qu’a résidé pendant de nombreuses années le capitaine William Augustin d’Entremont, né en 1901 à Pubnico-Ouest, en Nouvelle-Écosse.

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C’est le père Maurice LeBlanc qui m’avait parlé du capitaine d’Entremont. Il y a quelques semaines, j’avais rendez-vous chez cet ecclésiastique au sourire indomptable, homme de musique et d’art – de culture tout court – et franc patriote acadien. Le père Maurice, dont les 92 ans ne ralentissent guère le pas et encore moins l’esprit, avait eu la gentillesse de m’accorder un entretien au sujet des quatre voyages qu’il a faits en Louisiane, et dont les premiers remontent à 1955 – bicentenaire de la Déportation oblige – et à 1964. L’une et l’autre fois, il aurait rendu visite au capitaine d’Entremont, un ami de ses parents qui appelaient ce bon monsieur Willie, en toute simplicité.

En 1964, en compagnie de sa mère et sa sœur, de passage en Louisiane au retour de vacances au Mexique, le père Maurice a pris une photo de cette demeure en stuc. Il l’a encore, sur diapositive. À cette époque-là, la maison étaient blanche. La voici qui salue le soleil couchant de 2016.

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Quelle était l’histoire de Willie d’Entremont ? Parmi ces Acadiens de la Nouvelle-Écosse ayant pris la mer pour travailler dans la navigation, au XIXe et au XXe siècles, pourquoi avait-il, lui, abouti en Louisiane pour de bon ?

Le cas m’a intrigué et m’intrigue encore : c’est un petit morceau du grand ensemble de la diaspora acadienne qui ressemble peu aux autres.

De fil en aiguille, j’en ai retracé quelques détails. On constate, par exemple, qu’il s’y est installé encore jeune homme. C’est en 1931, à la Nouvelle-Orléans, qu’il épouse Irma Larcade, dont le grand-père paternel était Français et dont le père, pompier-sapeur, était mort depuis 1916 ; la mère d’Irma, Virginia, viendra vivre avec le couple qui aura une fille, Elaine, leur unique enfant. Je doute qu’ils aient parlé français à la maison ; toutefois, l’annuaire de l’Université Tulane de 1958, où se trouve la photo d’Elaine, indique qu’elle participait au « Cercle français ».

Employé de la United Fruit Company en 1941 et plus tard d’une de leurs filiales, la Empresa Hondureña de Vapores, le capitaine d’Entremont fréquentait les ports d’Amérique latine et de la côte est. Grâce à diverses bases de données, il est très facile de repérer certains de ses voyages ; par exemple, en 1952, le Darien, battant pavillon hondurien, passait de Santa Marta, Colombie, à New York.

Il s’est inscrit pour le service militaire au début de la Deuxième Guerre mondiale. Est-il parti à la guerre ? Il ne serait pas difficile de se renseigner. (J’ose croire que non.)

Mesurant 5 pieds 9 pouces, il pesait 200 livres au début années des 1950. Cet homme un peu replet et sans doute robuste, était-il jovial ?

Le capitaine d’Entremont songeait-il souvent à l’Acadie ? Combien de fois y est-il retourné ?

Sa fille Elaine n’est plus là pour me le dire. Après une carrière de professeure de langues dans une université du Texas et une retraite de plusieurs années, elle a quitté ce monde l’été dernier, juste avant que ne débutent les projets de la Chaire.

Elle a eu des enfants avec qui il serait aisé d’entrer en contact. Connaissaient-ils bien leur grand-père ? Se considèrent-ils Acadiens ? Si oui, sont-ils rendus en Nouvelle-Écosse pour le Congrès mondial de 2004 ? Ce qu’ils auraient à raconter ne correspond probablement pas aux priorités pour ma recherche, mais il y a l’élément humain qui appelle la curiosité…

Hier soir, j’ai voulu savoir s’il reste encore dans le quartier des habitants du temps de Willie d’Entremont, voire de l’époque des visites du père Maurice. En face du 3223, rue Upperline, une famille était perchée sur leur véranda – enfin, quatre femmes, entre la cinquantaine et la soixantaine, et un jeune homme. Je leur ai posé la question. Autant leur intérêt était manifeste, autant la réponse se fit nette : il n’y a plus personne dans le coin qui aurait connu le quartier dans ces années-là ; c’est ce que m’a expliqué une dame qui y vit depuis 1981. Les ouragans – Betsy en 1965 et Katrina, bien sûr – ont fait leurs ravages, les mutations socio-économiques, partant démographiques, aussi. Le souvenir du capitaine d’Entremont, décédé en 1991, se serait évanoui, semble-t-il.

J’irai peut-être frapper à d’autres portes, un autre jour.

À tout le moins, il y a ces maintes traces laissées par les documents et la conversation enregistrée avec le père Maurice.

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Source: « Louisiana First Registration Draft Cards, compiled 1940-1945, » database with images, FamilySearch (https://familysearch.org/pal:/MM9.3.1/TH-1-19076-49468-8?cc=1916286 : 10 September 2014), Dennis, Herman-Depriest, Sylvester Orelia > image 763 of 1018; National Archives and Records Administration, Southwest Region, Fort Worth, Texas.

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