Vers un mouvement planétaire contre le racisme? («Au rythme de notre monde» dans Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, 12 juin 2020)

Note : cette chronique a été publiée le 12 juin 2020 dans Le Courrier de la Nouvelle-Écosse.

Le président vient de publier une déclaration remarquable sur Twitter. Non, je ne parle pas d’une énième énormité de la part de Donald Trump. Il s’agit plutôt d’un message de Nana Akufo-Addo, président du Ghana, en Afrique de l’ouest, suite à un incident récemment survenu aux États-Unis, incident qui est en train de provoquer une réaction mondiale.

« Les Noirs, à travers le monde, sont choqués et bouleversés par l’assassinat d’un homme noir non armé, George Floyd, par un policier blanc aux États-Unis d’Amérique. […] Il ne peut être acceptable qu’au 21e siècle les États-Unis, ce grand bastion de la démocratie, continuent d’être aux prises avec le racisme systémique. »

ARNM_2020-06-12_Tweet Nana Akufo-Addo

En effet, c’est choquant et bouleversant. La vidéo de la mort de George Floyd, interpellé près d’un dépanneur d’où il venait de sortir et asphyxié malgré ses cris à l’aide sous le genou du gendarme Derek Chauvin, devant les collègues de ce dernier, a fait le tour de la planète. Cet acte barbare suivait de près le meurtre présumé d’Ahmaud Arbery, en Géorgie, par deux hommes blancs alors qu’il faisait du jogging et de Breona Taylor, technicienne médicale tuée par balles par des agents de police de Louisville, au Kentucky, qui ont fait irruption chez elle dans la nuit du 13 mars dernier.

Aux yeux de beaucoup, y compris de l’auteur de ces lignes, ces atrocités, bien que déplorables en soir, ont aussi valeur de symptômes d’un problème plus profond et plus pernicieuse. La notion de racisme systémique, évoquée par le président Akufo-Addo, renvoie aux formes de discrimination raciale qui, sans être avouées, participent des rapports sociaux, des structures institutionnelles et de la vie politique et économique. Ce racisme n’est pas « officiel » comme cela a pu être le cas dans l’Allemagne nazie ou à l’époque de la ségrégation aux États-Unis. Ces injustices peuvent être même être désavouées, sans disparaître pour autant.

Associé à un mot-clic devenu célèbre, le mouvement Black Lives Matter a été lancé en 2013 pour remédier à cet état des choses. Ont été dénoncées des pratiques policières jugées racistes et nuisibles à l’épanouissement des communautés afro-américaines et, plus généralement, « de couleur » (« people of color »). Si cette cause a mérité une certaine attention à l’extérieur des États-Unis, la sympathie initiale n’a rien à avoir avec l’immense vague de solidarité qui déferle en ce moment.

Succédant à des manifestations contre le confinement en raison de la COVID-19, celles contre le racisme qui ont maintenant lieu partout aux États-Unis ont un caractère beaucoup plus intense, certes aggravé par le comportement erratique et les déclarations autoritaires du président Trump. Ce qui est tout aussi frappant, c’est l’onde de choc qui se propage à l’échelle internationale.

Depuis quelques jours, des rassemblements antiracistes ont été organisés dans plus d’une cinquantaine de pays, sur tous les continents, sauf en Antarctique. Dans certains cas, il s’agit de déplorer le racisme tel qu’il existe aux États-Unis. Dans cet esprit-là, des manifestations ont été tenues devant des ambassades et des consulats américains, comme à Ottawa, à Madrid et à Nairobi.

Une autre approche consiste à se saisir de l’occasion pour examiner sa propre société. C’est ce qui se produit dans plusieurs pays d’Europe où la notion de race et les idéologies racistes ont leurs origines dans le passé colonialiste de ces anciennes grande puissances. À Paris et à Lyon, des marches en hommage à George Floyd ont aussi servi à rappeler la mort d’Adama Traoré (1992-2016) aux mains de la police. À Bristol, ville portuaire d’Angleterre où la traite des esclaves a joué un rôle important aux 17e -18e siècles, des militants antiracistes ont déboulonné la statue du commerçant négrier Edward Colston (1636-1721).

De l’autre côté du globe, le mouvement actuel en Australie s’attaque aux injustices subies, encore aujourd’hui, par les populations autochtones (ou aborigène), longtemps victimes d’un racisme d’État des plus dévastateurs. C’est mettre le doigt sur un bobo séculaire, ce qui n’est pas facile dans un pays érigé à même un colonialisme s’appuyant sur l’oppression raciale.

Ici au Canada, nous devons suivre l’exemple de l’Australie. Il est certes louable de s’indigner de la mort de George Floyd, mais sommes-nous prêts à lutter contre les iniquités que connaissent les Premières Nations et à reconnaître pleinement leurs droits territoriaux et humains? Sommes-nous prêts à lutter contre le profilage racial des Afro-Néo-Écossais à Halifax? Sommes-nous prêts à lutter contre les attitudes et pratiques discriminatoires à l’encontre des immigrés dans nos propres communautés, souvent sous le couvert d’une affirmation du genre : « Je ne suis pas raciste, mais… »?

Car ces réalités existent, ce n’est pas la peine de nous le cacher. Par exemple, une étudiante originaire du Cap-Breton m’a raconté un jour que, dans un restaurant où elle travaille en été, le gérant écarte systématiquement toute candidature d’une personne ayant un « nom étranger ». Dès lors que ce type de pratique – pratique illégale d’ailleurs – n’est pas remis en question et, par conséquent, se multiplie par 50, 100 ou 1000, il y a un phénomène systémique. Pour l’avenir de nos communautés et par simple décence, ces comportements discriminatoires doivent être éradiqués.

Le récent message du recteur de l’Université Sainte-Anne, Allister Surette, indique le chemin : « Nous n’avons aucune tolérance pour le racisme et nous nous engageons à faire un examen de conscience au sein de notre institution afin d’identifier nos propres préjugés et nos barrières institutionnelles afin de continuer sur la route vers l’égalité et l’équité. »

Les bons sentiments ne suffisent pas. Si nous voulons vraiment vivre dans un monde équitable, c’est, en plus de notre solidarité, par cet examen de conscience joint à un dialogue ouvert qu’il faut commencer.

M. Clint Bruce

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