Œil sur l’Acadie / CRÉAcT en action ! – Le 25 novembre 2016, à peine trois mois après la première diffusion du documentaire Zachary Richard, toujours batailleur sur la chaîne Unis TV, le réalisateur Phil Comeau, originaire de la région de Clare, est venu présenter ce film, ainsi que le court métrage Belle-Île-en-Mer, île bretonne et acadienne, sur le campus de la Pointe-de-l’Église de l’Université Sainte-Anne. Organisée par la CRÉAcT et la Société acadienne de Clare, cette soirée a connu un succès considérable auprès du public d’ici. Puisque l’intérêt pour ces deux films n’a fait que s’accroître, aussi bien au Canada qu’en Louisiane et en Europe, nous présentons ici quelques extraits de la causerie qui a suivi la projection.
Clint Bruce : On voit que le générique indique « Phil Comeau, recherche ». Moi j’ai regardé le film avec mon œil de chercheur. Ma première question serait de savoir, Phil : qu’est-ce que tu as appris de nouveau pendant ce film ?
Phil Comeau : De nouveau, c’est que la résilience continue en Louisiane. J’ai rencontré, à force d’y aller une dizaine de fois, plein de gens – dont la plupart vous voyez dans le film et quelques nouveaux – qui se battent pour la culture, qui se battent pour la langue française, qui sont fiers d’être Acadiens. Il y a énormément de gens qui viennent ici ; la Baie Sainte-Marie est probablement le pôle le plus fort pour les Cadiens de la Louisiane. Jean Douglas Comeau, avec ses cours d’immersion à l’université, en a attiré plus de mille depuis les années 60, je crois. On a vraiment une grosse connexion avec les Cadiens parce que beaucoup de nos propres ancêtres ont aussi été en prison à Halifax ; donc ils ont passé du temps ensemble et il y a un lien. Évidemment on était tous cousins.
C. B. : C’est un film qui met en scène Zachary Richard. Toi tu y étais très discret : on ne te voit pas, pourtant on voit ton œil partout. Peux-tu nous parler de cette collaboration-là ?
Phil Comeau : Avec Zachary nous nous voyons très souvent à Montréal comme nous avons chacun des appartements là-bas. À force de parler je lui proposais des gens avec qui que je pouvais le mettre en contact. Ici en Acadie il y avait beaucoup de monde qu’il n’avait jamais rencontré, tels qu’Alan Melanson, Marc Lavoie et d’autres. Je voulais lui faire rencontrer du monde qu’il ne connaissait pas. Il m’a fait confiance et vous avez vu ce que cela a donné. En parlant avec les gens j’ai appris des choses que je tenais en cachette de Zachary pour qu’il ait des surprises. Je lui disais : « Tu vas rencontrer (par exemple) Suzanne [Surette-Draper]. Je ne vais pas te dire ce qu’elle va te dire, mais prépare-toi. » Ce qui fait que quand il apprend que son ancêtre est mort en 1755 sans connaitre les circonstances, ce soir-là il m’a dit qu’il était à l’envers.
C. B. : Est-ce que le coup de « Réveille » dans l’église anglicane était prévu ou est-ce que c’est sorti de lui comme ça ?
Phil Comeau : Ça c’est sorti de lui. Le soir d’avant, on mangeait ensemble au restaurant et on parlait du lendemain. Je lui ai rappelé qui il allait rencontrer puis à peu près ce qu’il allait vivre sans vraiment donner tous les secrets. Je lui ai dit : « Demain quand on ira sur la tombe de Lawrence, j’espère que tu ne vas pas danser dessus parce que si tu danses sur la tombe, les Anglais ne vont pas aimer ça. » Alors, on entre dans l’église et il a dit à Céleste Godin : « Prépare-toi – on va rentrer, je vais faire mon affaire and we are gonna get the hell out of here. » Moi je ne savais pas. Quand il s’est mis les pieds au-dessus de la tombe, là il a chanté sa chanson. Toute l’équipe braillait et on se tenait pour ne pas brailler plus fort pour pas ruiner le son. C’était une belle surprise. Pour lui [Zachary] c’était comme un besoin qu’il avait eu toute sa vie. Il n’était jamais entré là. À Moncton, par exemple, il y a du monde qui voit cette scène-là comme une revanche, puis il y en a d’autres qui voient ça comme une réconciliation. Je crois que le fait qu’on était tous émus dans cette scène-là [montre] qu’on est en train de faire une réconciliation avec notre histoire.
C. B. : Une dernière question de moi, puis on en prendra d’autres du public. Il y a eu pas mal de films sur les Acadiens de la diaspora ; il y a eu des films sur Zachary. Pourtant, celui-ci a attiré l’attention du monde et a touché des gens : il y a du nouveau. Pour toi – soit en revoyant le film ou en cours de route, qu’est-ce que Zachary Richard, toujours batailleur dit ou qu’est- ce que tu as voulu qu’il dise que d’autres films n’ont pas dit ?
Phil Comeau : Peut-être que nous sommes forts, que nous avons une culture forte. Je suis allé dans toutes les régions de la diaspora acadienne, autant dans les différentes régions de la France qu’aux Etats-Unis – Louisiane, Texas, Maine, etc. – et dans les différentes régions du Québec. On est minoritaire partout, mais malgré ça nous sommes forts. Une des raisons est que la déportation nous a soudés comme culture et nous sommes les enfants de ces survivors.
Le prix du public nous a vraiment fait chaud au cœur parce qu’il y avait 96 films en compétition et c’est lui qui a eu la faveur du public. Il y a des gens qui ont été très touchés à Moncton après la première mondiale. C’est une belle aventure, ces deux films. Ça faisait longtemps que je voulais les faire.
Commentaire du public : La musique était très émouvante.
Phil Comeau : C’est Zachary lui-même qui a fait toute la musique – des fois on camera comme vous l’avez vu. Pour Belle-Île-en-Mer c’est un musicien de Lamèque, au Nouveau-Brunswick, qui habite sur une île. Ça va vous paraitre drôle, mais je voulais un musicien qui habite sur les îles qui allait être capable de capturer l’essence de Belle-Île-en-Mer. C’est un gars qui s’appelle Frédéric Chiasson qui travaille pour le Cirque du Soleil à Montréal ; il est chef d’orchestre.
Commentaire du public : Je ne comprends pas pourquoi on utilise le mot réconciliation. Vu le traitement qu’on a reçu, il est difficile pour moi d’accepter la réconciliation. On ne peut pas tourner la page : ça marche pas de même.
Phil Comeau : Je ne pense pas qu’on tournera la page. On ne va jamais l’oublier ; il ne faut pas l’oublier. Ce qui est important de faire, c’est de ne pas s’arrêter, de ne pas laisser nos vies être guidées par ça. Il faut vraiment tenter de pardonner. Je pense qu’une des qualités des Acadiens est qu’ils sont capables de pardonner. Même s’ils ne sont pas d’accord avec ce que [les responsables de la Déportation] ont fait, il faut essayer d’aller de l’avant. La raison pour laquelle je voulais marier la Louisiane avec ça, c’est parce que les Louisianais ont eu bien plus de misères. Ce n’est pas juste la Déportation : ils ont souffert plus longtemps que nous-autres après la Déportation. Par ici on a pu trouver des places où nous installer, mais eux ils n’avaient pas le droit de parler français dans les écoles et les places publiques. De plus ils ont subi deux guerres, celle de l’indépendance et civile, puis encore des inondations. Malgré tout ils continuent de danser.
C. B. : Au début Zachary parle beaucoup du mot « résistance » ; donc ce que tu entends là par « réconciliation », en fait c’est une posture de résistance. L’un n’exclut pas l’autre : ce n’est pas parce que je me réconcilie avec quelque chose que j’arrête de résister, je pense.
Phil Comeau : Non non, la résistance est importante. J’espère que vos enfants et vos petits-enfants seront encore résistants comme nous-autres et comme nos parents l’ont été. Moi quand j’étais enfant, mon père nous emmenait, toute la famille, faire des pèlerinages tous les étés à Port Royal et à Grand-Pré. C’était le fun les premières fois, mais après quinze on était pas mal sûr qu’on était Acadiens ! Mais la chose qu’il m’a dite qui m’a le plus touché – quand t’es adolescent c’est le genre de truc que tu veux entendre -, c’était : « Nous-autres on est restés à la Baie [Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse] parce que un jour nos ancêtres avaient planné de reprendre la capitale de Port-Royal. » (Rires du public.) Je ne sais pas si c’est vrai qu’ils sont ici à cause de cette idée ou pour une autre raison. Comme jeune ça m’a toujours rendu fier de venir de la Baie Sainte-Marie.
– Entrevue transcrite par Agathe Embane Ye Bouato