À noter que cette chronique a également paru dans l’édition du 23 mai 2025 du Courrier de la Nouvelle-Écosse, sous la rubrique « Au rythme de notre monde ».
Vous êtes-vous déjà demandé ce que les professeur(e)s d’université font quand vient la belle saison? Il est vrai que plusieurs d’entre eux et elles continuent à donner des cours lors de la session printemps-été, mais la plupart auront aussi davantage de temps à consacrer à leurs projets de recherche.
À la manière des oiseaux migrateurs qui reviennent au mois de mai, ce mois annonce aussi le début de la période de «migration» des chercheurs et chercheuses. En effet, leur emploi du temps s’ouvre, ce qui coïncide bien souvent avec le début de la saison des colloques et congrès scientifiques en tout genre.
Ils et elles peuvent ainsi en profiter pour aller échanger avec d’autres spécialistes sur des questions d’intérêt pour leur domaine d’étude. C’est l’occasion de voir ce qui se fait dans d’autres universités et d’en apprendre plus sur l’avancée des travaux dans différents champs scientifiques.
Dans les Maritimes, cette saison s’est ouverte le 30 avril dernier avec la tenue, à l’Université de Moncton, du colloque international «Les francophonies dans tous leurs états», organisé par l’École des Hautes études publiques et la Chaire Senghor des francophonies comparées de l’Université de Moncton.
Ce colloque, d’une durée de trois jours, avait pour ambition de brosser un portrait politique et social des francophonies contemporaines du monde entier tout en étant résolument ancré dans la francophonie qui l’accueillait cette année, celle acadienne. Vaste projet!
C’est dans le contexte d’une journée d’étude sur le Congrès mondial acadien, entre autres, que j’ai pu participer au colloque. En effet, je m’y trouvais à titre d’assistant de recherche pour le projet Vers l’Acadie de l’avenir : enjeux et espoirs autour du Congrès mondial acadien, financé par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et dirigé par Clint Bruce, professeur à l’Université Sainte-Anne et directeur de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT). Les membres de l’équipe de recherche ont pu présenter les progrès de leurs enquêtes et échanger à propos des travaux à venir.
Cet atelier comptait ainsi une table ronde et deux séances de quatre présentations qui ont parlé tour à tour des expériences des participant(e)s au CMA, des réunions de famille, de la couverture médiatique de l’évènement, des raisons qui font sorte que les gens ne participent pas à l’évènement et des retombées économiques du Congrès. Les chercheurs(euses) de l’équipe prévoient la publication d’un livre sur le Congrès mondial acadien à moyen terme.
On retrouvait aussi au colloque des politicien(ne)s, des représentant(e)s d’organismes communautaires et des membres des médias. C’était là aussi un objectif de ce colloque que de faire dialoguer la science avec le public et vice-versa.
Dans cette catégorie, l’Acadie de la Nouvelle-Écosse y était très bien représentée avec, entre autres, Gwen LeBlanc (Conseil de développement économique de la Nouvelle-Écosse), Natalie Robichaud (Société acadienne de Clare) et Nicolas Jean (Société de presse acadienne). Ils ont participé ensemble à une table ronde sur le CMA 2024, «Un Congrès mondial acadien réussi… selon quels critères ?».
Cette table ronde était organisée en partenariat avec la CRÉAcT et l’Observatoire Nord/Sud. Ils ont pu parler des bons coups et des défis rencontrés lors de la tenue du Congrès mondial acadien dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse l’été dernier.
Au-delà du CMA, l’ancrage local s’est manifesté par de multiples présentations, entre autres à propos de la gouvernance locale et la participation citoyenne en Acadie, mais aussi par une table ronde sur le renouvèlement des législations canadiennes en matière de langue.
Cette table ronde regroupait les représentant(e)s de différentes associations et fédérations de la francophonie acadienne et pancanadienne, dont la Société nationale de l’Acadie (SNA), la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA).
La discussion a débuté par le discours réfléchi et senti de Michel Doucet, professeur émérite de droit de l’Université de Moncton et juriste, à propos de l’insuffisance des protections législatives qui existent pour assurer l’épanouissement des communautés francophones en situation minoritaire au Canada et en particulier au Nouveau-Brunswick.
Les panélistes ont tout de même souligné les gains et l’ouverture qui se manifestent par rapport à ces enjeux au gouvernement fédéral ainsi qu’à l’échelle provinciale. L’élection récente d’un gouvernement libéral néobrunswickois était par exemple porteuse d’espoir pour plusieurs d’entre eux et elles. La création d’un poste de sous-ministre aux Langues officielles par le gouvernement Holt était donnée à titre d’exemple prometteur.
Les panélistes ont cependant affirmé demeurer vigilants par rapport à ces enjeux et n’ont pas hésité à abonder dans le sens de Michel Doucet et revendiquer qu’il en soit fait encore beaucoup plus.
Le colloque était aussi résolument tourné vers le reste du monde, accueillant plusieurs dizaines de chercheurs(euses), d’au moins 10 universités différentes, du Canada à la France, en passant par le Cameroun.
Le premier jour, lors d’une autre table ronde nommée «Sciences et francophonies», Nicolae Popa, un chercheur roumain, a témoigné de l’importance de publier les résultats de ses recherches en d’autres langues que l’anglais.
Il a signalé la disparition progressive des revues savantes en langue roumaine ces dernières années. Il a évoqué le danger que cela peut représenter sur le plan de la diffusion des résultats aux populations directement concernées par les études menées.
La publication en anglais de recherches en contexte roumain est souvent mise à mal par les revues savantes anglophones, qui ne reconnaissent parfois pas la pertinence de faire la publication de ce genre de contenu qui ne les touche pas directement. Le chercheur expliquait qu’on peut ainsi se retrouver dans une situation assez difficile.
Les chercheurs(euses) publient en anglais pour rejoindre plus de gens, mais, finalement, la population avec laquelle ceux-ci et celles-ci travaillent n’arrive pas à lire les résultats de recherche. Ou, pire encore, ces résultats connaissent des obstacles importants à l’étape de publication et ne voient tout simplement pas le jour.
Ces enjeux font écho à la situation de la publication en français de la recherche de manière assez remarquable, comme en témoigne l’étude publiée il y a quelques années par l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML) au sujet de la précarité de la recherche en français au Canada. Il faut toutefois reconnaitre que le français peut compter sur un lectorat potentiel plus de 10 fois supérieur à celui de la langue roumaine.
J’ai aussi pu assister à l’atelier «Tu parles ! La langue en Acadie dans tous ses états», organisé par le Centre de recherche sur la langue en Acadie. Cet atelier comptait des présentations variées allant de la revitalisation du wolastoqey dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick, aux spécificités du français acadien standard, tout en abordant aussi les défis rencontrés par les allophones pour recevoir des services de traduction et d’interprétariat dans leur langue en Acadie.
Si une chose semble sure au terme de ce colloque, c’est que la recherche en français est prometteuse quant aux enjeux sociopolitiques, linguistiques et identitaires en Acadie.
Bonne saison de «migration» aux chercheurs(euses)!
Tommy Berger, Université de Moncton et Observatoire Nord/Sud de l’Université Sainte-Anne
Photo 1 : Table ronde sur l’impact du Congrès mondial acadien. De gauche à droite: Paul Richard, Gwen LeBlanc, Nicolas Jean et Natalie Robichaud. Crédit photo : Clint Bruce.
Photo 2 : Table ronde sur l’impact du Congrès mondial acadien. De gauche à droite: Paul Richard, Gwen LeBlanc, Nicolas Jean et Natalie Robichaud. Crédit photo : Clint Bruce.