250 ans de résilience en Acadie (chronique parue dans Le Devoir) – Clint Bruce et Natalie Robichaud

Note : Une version abrégée de ce texte est parue dans Le Devoir du 28 juillet 2018.

Depuis les attentats du marathon de Boston en 2013, de tels incidents provoquent une volonté d’affirmer la résilience de la communauté touchée. Au mouvement Boston Strong ont succédé des slogans empruntant la même formule : Toronto Strong, Moncton Strong et ainsi de suite. De loin, il nous est désormais possible, grâce aux médias sociaux, de ressentir le choc lorsqu’une atrocité se produit ailleurs dans le monde. La circulation des logos Strong permet d’afficher sa solidarité avec les victimes d’un traumatisme collectif.

Or, dans une boutique du village francophone de Saulnierville, en plein centre de la municipalité de Clare, au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, on peut se vêtir de la marque Acadian Strong — ou mieux encore : Acadie Fort. Nonobstant l’agrammaticalité du calque, le message passe.

Curieux tout de même, ce t-shirt qui proclame la force de l’Acadie tout en présentant, à son dos, une image de la Déportation des Acadiens en 1755. Le traumatisme historique reste-t-il vif à ce point-là ?

Pour les gens d’ici, cet appel à la résilience résonne de façon particulière en ce moment où se célèbrent 250 ans de vie acadienne en Clare.

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Clare, c’est un bout de territoire adossé à l’étincelante baie Sainte-Marie, nommée par Champlain en 1604. Autrefois surnommé « la Ville française », le secteur est flanqué de deux villes anglophones. Sa présence acadienne remonte aux lendemains du Traité de Paris de 1763, lorsque les autorités britanniques permirent le retour des proscrits, exilés ou emprisonnés. Exclus des terres fertiles de l’ancienne Acadie, ces familles et leurs descendants ont su tirer profit de la mer et de la forêt.

La municipalité compte aujourd’hui un peu plus de 8000 habitants, francophones à 73 %. C’est d’ailleurs l’unique gouvernement de la Nouvelle-Écosse ayant le français comme langue de travail, et c’est ici que se situe le campus principal de l’Université Sainte-Anne, seule institution postsecondaire francophone de la province. Aussitôt qu’on syntonise la radio CIFA 104,1 FM, aucun doute ne saurait poindre : on est en Acadie.

Certes, cette Acadie a toujours été tournée vers le monde. Au XIXe siècle, il y avait le commerce maritime et la construction navale ; au XXe, l’émigration et les échanges avec la parenté des États. Comme d’autres communautés francophones en milieu rural, nous aimerions attirer davantage d’immigrés de l’Afrique tout en incitant nos jeunes partis ailleurs à revenir.

Car notre communauté se heurte à de nombreux défis. La population est vieillissante, et malgré nos écoles francophones gagnées de haute lutte dans les années 1990, la jeunesse préfère parfois le recours à l’anglais. Aux prises avec une pénurie de main-d’oeuvre, plusieurs industries attirent des travailleurs principalement anglophones. Les tensions autour de la question linguistique demeurent palpables pour certains, tandis que, pour d’autres, l’assimilation est invisible, et il n’y aurait pas de problème.

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Reste ce fait que confirmera tout résident ou visiteur : Clare vibre au rythme de sa francophonie.

Notre dynamisme culturel

À l’heure actuelle, Clare atteint un summum du rayonnement de sa production culturelle. L’écrivaine Georgette LeBlanc, qui vit et travaille ici, est devenue en début d’année la poète officielle du Parlement canadien. Aujourd’hui même, 28 juillet, Journée annuelle de commémoration du Grand Dérangement, le Festival acadien de Clare inaugure sa 63e édition par un spectacle réunissant pas moins de 25 artistes de la région. 

Y aurait-il quelque chose dans l’eau ? La question a été posée à Arthur Comeau, rappeur anciennement du groupe Radio Radio et fondateur du studio Tide School : « Rien n’est dans l’eau », selon lui, pour expliquer le foisonnement de talents qui s’observe ici.

Il y a sans doute quelques ingrédients magiques, toutefois.

Une équipe de quatre chercheurs de l’Université Laurentienne (Simon Laflamme, Julie Boissonneault et Lianne Pelletier) et de l’Université Sainte-Anne (Roger Gervais) s’est récemment penchée sur le dynamisme culturel de la francophonie canadienne en milieu minoritaire, pour le compte de la Fédération culturelle canadienne-française. Clare a été étudiée à titre de « petite ville à vitalité élevée » — un véritable « pôle culturel » dans le langage de ces spécialistes.

L’un de leurs constats concerne le lien très fort, à travers le Canada atlantique, entre activité artistique et identité acadienne. Qui parle de culture parle d’acadianité — et vice versa. Au lieu d’une francophonie abstraite et incolore, celle-ci s’enracine dans son historicité.

Cet enracinement était en évidence lors des représentations de la comédie musicale Clare dans un soir 2, le mois dernier. (La première partie avait été présentée en 2017.) En jetant un regard irrévérencieux sur des épisodes d’histoire locale, la pièce a donné à la relève artistique, dont les membres du groupe Cy et d’autres jeunes comédiens, la chance de créer, de briller et de réfléchir sur le devenir de leur collectivité.

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Le spectacle a bénéficié de certains avantages signalés par Laflamme et ses collègues : l’action des organismes – c’était une coproduction du Festival acadien et de la Société acadienne de Clare – et l’appui enthousiaste de la municipalité. Et il a fait recette : plus de 700 entrées – près de 10 % de la population.

Qu’est-ce qu’on célèbre ?

Pour souligner cet anniversaire, le gouvernement municipal a fait l’acquisition d’un document aussi précieux que chargé d’ambivalence : le serment d’allégeance à la Couronne britannique signé par Antoine-Salomon Maillet, l’un des pionniers de la baie Sainte-Marie. Né à Port-Royal en 1723, Maillet avait connu les affres du camp d’Espérance, lieu d’accueil de réfugiés pendant la Déportation, et ensuite la prison à Halifax, avec des centaines de ses compatriotes.

Pour refaire sa vie en Clare et y installer sa famille, il dut se plier à ce serment inconditionnel.

D’aucuns pourraient y voir une défaite. Nous y lisons plutôt la volonté tenace d’un pari à gagner.

250 ans après que les survivants du Grand Dérangement eurent débarqué sur nos plages, les Acadiennes et Acadiens de Clare sont toujours là. À marée basse, ils viennent « gratter des coques » en se promenant sur la grève et en causant, parfois en anglais, mais surtout en français, et toujours avec le cœur Fort attaché à leur Acadie.

Clint Bruce, Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales de l’Université Sainte-Anne

Natalie Robichaud, directrice générale, Société acadienne de Clare

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