Longfellow… encore lui ! Traduction originale de « The Slave Singing at Midnight » (1842)

L’imagination littéraire du poète américain Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882) aura marqué de manière irrévocable la destinée de l’Acadie. Qu’on veuille d’elle ou non, la figure d’Évangéline, rêveuse et mélancolique, persiste : Céleste Godin n’aurait pas eu besoin de lancer son puissant Fuck you Évangéline si ce n’était pas le cas. 

Mais arrive-t-il qu’on lise en Acadie d’autres œuvres de lui ? Comme Longfellow n’est plus à la mode depuis longtemps, j’en doute fortement. (Petit aveu d’un pur hasard : quand j’étais adolescent, Longfellow était mon écrivain préféré, à côté de quelques autres romantiques de langue anglaise.)

Récemment, dans le cadre de mes recherches sur l’esclavage au XIXe siècle, il m’a été donné de redécouverir le recueil Poems on Slavery, que Longfellow composa en 1842 – cinq ans avant la parution d’Évangéline – au retour d’un séjour en Allemagne. Lié d’amitiés avec plusieurs militants abolitionnistes de la Nouvelle-Angleterre et d’Europe, mais ne s’étant jamais prononcé sur ce sujet, il souhaitait « faire quelque chose, aussi modeste que ce soit, pour la grande cause de l’émancipation des nègres ». Il en résulta cette mince plaquette de sept poèmes publiée à Boston. Le cinquième d’entre eux, « The Slave Singing at Midnight », m’a particulièrement touché.

En entendant un chant religieux percer la nuit, le poète admire chez l’esclave noir la même force d’esprit, face à l’injustice de sa condition, que le Nouveau Testament décrit chez Paul et Silas, chrétiens du Ier siècle emprisonnés par les autorités romaines. Il m’a paru juste de rendre hommage aux convictions égalitaires de Longfellow par une traduction en français. La voici, sous forme d’image. Les deux textes, accompagnés d’une brève explication de quelques choix de ma part, suivent.
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« Le chant de l’esclave à midnight » (1842) de Henry Wadsworth Longfellow, traduction originale de Clint Bruce 

Un psaume de David résonnait dans la nuit !
Lui, un nègre, en esclavage réduit,
Il chantait d’Isräel les victoires brillantes
Et chantait Sion, libre et éclatante !
À l’heure nocturne où tout se fait silencieux,
Il chantait les vers du poète hébreu,
Tout haut, mais d’une voix si douce, si limpide,
Que mes oreilles devinrent avides
De ces chants de triomphe, ordres aériens,
Qu’ouïrent jadis les noirs Égyptiens
Quand la Mer rouge ensevelit sous un déluge
Pharaon et ses armées, sans refuge.
Et cette voix remplie d’une vraie dévotion
Mit dans mon âme une étrange émotion,
Car cet air tantôt s’envolait en allégresse,
Tantôt se chargeait de brute tristesse.

Paul et Silas chantaient depuis leur noir cachot,
Le Christ ressuscité, notre Seigneur Très-Haut,
Quand le bras justicier d’un tremblement de terre
Vint ouvrir à minuit leur donjon sans lumière.
Hélas ! quel ange annonce à cet homme asservi
L’évangile joyeux qui ainsi l’enhardit ?
Et quel bras vengeur de quel tremblement de terre
Vient ouvrir à minuit son donjon sans lumière ?

Texte original : « The Slave Singing at Midnight » (1842) de Henry Wadsworth Longfellow

Loud he sang the psalm of David!
He, a Negro and enslaved,
Sang of Israel’s victory,
Sang of Zion, bright and free. 
In that hour, when night is calmest,
Sang he from the Hebrew Psalmist,
In a voice so sweet and clear
That I could not choose but hear, 
Songs of triumph, and ascriptions,
Such as reached the swart Egyptians,
When upon the Red Sea coast
Perished Pharaoh and his host. 
And the voice of his devotion
Filled my soul with strange emotion;
For its tones by turns were glad,
Sweetly solemn, wildly sad. 

Paul and Silas, in their prison,
Sang of Christ, the Lord arisen.
And an earthquake’s arm of might
Broke their dungeon-gates at night. 
But, alas! what holy angel
Brings the Slave this glad evangel?
And what earthquake’s arm of might
Breaks his dungeon-gates at night? 

En adoptant la rime et des strophes traditionnelles suivant les règles classiques de la versification, j’ai tâché de rester près de l’esprit du texte original. Cependant, la longueur relative des vers français – alexandrins et décasyllabes, dans la première partie ; alexandrins seulement dans la chute – a pour résultat une gravité accrue par rapport aux vers courts, plus légers, chez Longfellow.

Pour en apprendre plus sur Poems on Slavery de Longfellow, voir cet article de Janet Harris, paru en 1978 dans Colby Quarterly

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