Note : Cette chronique a été publiée simultanément dans Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, édition du 16 décembre 2022, sous la rubrique «Au rythme de notre monde».
Tout le monde le sait, tout le monde le répète : l’Acadie n’existe pas sur les cartes géopolitiques. Le peuple acadien est une petite nation sans État, en situation de diaspora, par-dessus le marché. Toujours est-il que, malgré ces conditions, l’Acadie n’est guère en reste auprès des institutions de la Francophonie internationale. Voilà un fait étonnant qui s’est manifesté pleinement lors du récent Sommet de la Francophonie à Djerba, en Tunisie.
Les Sommets de la Francophonie ont normalement lieu tous les deux ans depuis sa première inauguration en 1986, à Paris. Ils rassemblent les chefs d’État et de gouvernement des pays membres afin de « définir les orientations de la Francophonie […] de manière à assurer son rayonnement dans le monde. »
Il s’agit de l’instance suprême de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). En raison de la pandémie, sa précédente et 17e édition remontait à 2018, en Arménie, où l’adhésion de quatre nouveaux membres a porté à 88 le nombre de gouvernements dans le giron de la Francophonie institutionnelle.
La Louisiane en faisait partie, en tant que membre observateur. Au Sommet de Djerba, mon État natal était notamment représenté par le Conseil du développement du français en Louisiane (CODOFIL), agence d’affaires francophones et interlocuteur privilégié dans la sphère internationale.
Le 18e Sommet de la Francophonie s’est donc déroulé les 19 et 20 novembre dernier, dans la terre d’origine de l’un des quatre fondateurs de la Francophonie internationale, à savoir Habib Bourguiba (1903-2000), premier chef d’État de la Tunisie postcoloniale. L’événement avait pour thème : « Connectivité dans la diversité : le numérique, vecteur de développement et de solidarité dans l’espace francophone ».
En dépit des tensions liées aux problèmes politiques en Tunisie et dans plusieurs autres pays d’Afrique, il s’agissait d’un tournant pour la Francophonie institutionnelle, appelée à se recentrer sur sa mission fondamentale.
Soulignons au passage que le Canada totalise quatre gouvernements membres de l’OIF, partant quatre délégations au Sommet : le Canada lui-même, le Québec, le Nouveau-Brunswick, qui y siège depuis 1977, et, depuis 2016, l’Ontario à titre d’observateur. On peut donc relever que l’Acadie jouit d’une représentation grâce à l’adhésion de notre province voisine.
On se rappellera d’ailleurs que la région de Moncton avait accueilli le Sommet de 1999, un jalon marquant et majeur de l’Acadie contemporaine, et aussi, sous un jour moins glorieux, que le gouvernement de Blaine Higgs avait annulé la tenue des Jeux de la Francophonie dès son arrivée au pouvoir, fin 2018.
Mais notre voix auprès de l’OIF se limite-t-elle au truchement néo-brunswickois ? Pas vraiment, même si le Nouveau-Brunswick joue un rôle indispensable.
Cette situation a été étudiée par Christophe Traisnel, Éric Mathieu Doucet et André Magord, dans un article paru en 2020 dans la revue Francophonies d’Amérique. Ces trois chercheurs font état d’une dynamique tout à fait particulière :
« D’une certaine manière, la présence acadienne au Nouveau-Brunswick a permis de justifier, par un concours de volontés politiques singulier, la construction d’une forme de représentation déléguée de l’Acadie sur la scène internationale qui constitue en somme la raison principale d’une reconnaissance politique atypique dont jouit, sur la scène internationale francophone, le Nouveau-Brunswick. »
Autrement dit, l’intérêt pour l’Acadie ouvre au Nouveau-Brunswick les portes de la reconnaissance internationale, tandis que, à tour de rôle, les structures étatiques de la province encadrent la présence acadienne et francophone.
Pour mieux cerner cette réalité, j’ai pris rendez-vous avec Véronique Mallet, directrice générale de la Société nationale de l’Acadie. Organisme porte-parole du peuple acadien, la SNA jouit du statut consultatif auprès de l’OIF. Lors de notre conversation, Mme Mallet rentrait tout juste de Tunisie, où trois membres de la SNA avaient participé au Sommet, c’est-à-dire, en plus d’elle-même, le président de l’organisme, Martin Théberge, ainsi que Yannick Mainville, responsable de la Société de promotion des artistes acadiens sur la scène internationale (SPAASI).
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